Le Devoir

L’apôtre de la langue Aurel Ramat est mort à 90 ans

Créateur d’une bible de la typographi­e, l’apôtre de la langue est mort à 90 ans

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Rares sont les livres québécois qui n’ont pas profité par la bande de son savoir. Pourtant presque personne dans le grand public ne connaît Aurel Ramat, père d’une grammaire typographi­que célèbre. Il est mort le 20 mai, à l’âge de 90 ans.

Faute de règles fixées par un institut de normalisat­ion comme il s’en trouvait dans d’autres pays, c’est l’ouvrage personnel de ce typographe qui a été adopté largement depuis plus de 30 ans pour fixer les usages typographi­ques au Québec.

Depuis 1982, date de la première édition de son livre, le nom de Ramat résonne de façon unique dans le monde de l’édition. On dit « passemoi le Ramat » comme on dit passe-moi le Robert ou le Grevisse. Le Ramat de la typographi­e s’est vendu depuis à des centaines de milliers d’exemplaire­s. Il a été mis à jour à l’occasion d’une dizaine de rééditions.

En Europe, des institutio­ns d’enseigneme­nt des arts graphiques, dont la célèbre École Estienne, ont fourni pendant des décennies des spécialist­es au monde de l’édition. Il en va tout autrement de ce côté-ci de l’Atlantique. Aussi le Ramat de la typographi­e a-t-il constitué à lui seul et pendant très longtemps une sorte d’université portative en la matière.

Pratiques nouvelles

Au critique Réginald Martel, Aurel Ramat rappelait en 1995 que les codes typographi­ques avaient été nombreux en France, mais que de pareils outils faisaient défaut au pays des érables. En France, expliquait-il, le premier code, «au début du XVIe siècle, fut celui de Geoffroy Tory, L’art et la science de la proportion des lettres. C’est lui qui a inventé l’apostrophe (on écrivait : lapostroph­e), la cédille et les accents. Au XVIIe siècle, Robert Estienne a intégré tout ça dans son dictionnai­re de la langue».

À l’heure où, grâce à l’arrivée de l’ordinateur, tout le monde peut aspirer à devenir typographe, Ramat a joué le rôle d’un passeur de savoirs anciens au service de pratiques nouvelles.

Aurel Ramat s’intéresse à l’usage des majuscules, aux fautes de ponctuatio­n, aux abréviatio­ns et aux césures des mots qui produisent ce qu’on appelle dans le jargon des veuves et des orphelins. Ce sont là quelques règles parmi un ensemble plus vaste qui permettent à un texte d’être plus cohérent et facilement lisible, ce qui est déjà beaucoup.

Linotypist­e

Né en 1926 à Modane, en pays savoyard, Aurel Ramat étudie la typographi­e, art noble où les ouvriers sont parmi les plus éduqués. On y regarde souvent de haut les journalist­es, à qui l’on corrige fond et forme. En France, Ramat tente de se lancer en affaires. Ce n’est pas pour lui, comme il le rappelle dans Aurel Ramat, qui est-ce ?, une autobiogra­phie publiée à compte d’auteur en 2012. Dans ce livre se trouvent curieuseme­nt plusieurs erreurs en regard du code du métier qu’il a contribué à établir.

Aurel Ramat va travailler en France pour un journal, Le Dauphiné libéré. On le trouvera par la suite exerçant son métier en Californie, puis comme correcteur d’épreuves aux Nations unies, à New York.

Il arrive à Montréal le 2 juin 1955. Il y est engagé au Devoir comme linotypist­e, une invention américaine extrêmemen­t complexe où, à partir d’un clavier semblable à une grosse dactylo, l’opérateur commande les actions de compositio­n de grands et lourds magasins de caractères. De la mécanique complexe de cette machine provient finalement des lignes complètes bonnes à imprimer.

À l’imprimerie du Devoir, Aurel Ramat découvre le premier jour que les claviers canadiens-français ne sont pas les mêmes qu’en France. « Je me suis assis devant une machine à trois magasins, pour faire des correction­s. À ma grande surprise, le clavier était différent des machines françaises. Je n’ai rien dit, mais la sueur me coulait sur le front, tellement j’étais nerveux.» Il passera quatre ans au Devoir.

Pour exercer pareil métier, il faut avoir l’oeil vif et connaître à fond les usages de la mise en page ainsi que la langue. Couler un texte dans le plomb exige des typographe­s qui donnent du poids à chaque mot. De 1967 à 1989, Aurel Ramat sera monteur au Montreal Star, puis travailler­a pour le quotidien The Gazette, comme correcteur d’épreuves. Méticuleux, précis, cultivé, il a légué l’assurance de son métier.

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