Le Devoir

Du théâtre ciblé par des catholique­s intégriste­s

- MAJA ZOLTOWSKA à Varsovie

Le week-end dernier à Varsovie, le public d’une pièce jugée blasphémat­oire a été attaqué à coups de fumigènes et d’insultes. Un épisode loin d’être marginal dans un pays aux mains du parti conservate­ur Droit et justice.

De soir en soir, le théâtre Powszechny à Varsovie ressemble davantage à une forteresse retranchée qu’à un lieu culturel paisible. Depuis quelques semaines, les représenta­tions de la pièce de théâtre Klatwa sont menacées par des ultranatio­nalistes des Jeunesses de la grande Pologne, du parti d’extrême droite Camp nationalra­dical (ONR) et des catholique­s intégriste­s. Échaudés par une oeuvre qu’ils jugent «blasphémat­oire», ils ont attaqué, le week-end dernier, le public à coups de pétards, de fumigènes et d’insultes.

Après qu’un acide butyrique, un répulsif non toxique provoquant des nausées, a été lancé dans le hall du théâtre, la direction a dit craindre pour ces acteurs qui, comme tant d’autres dans une Pologne gouvernée par l’inquiétant parti de droite Droit et justice (PiS), jouent sous forte pression. Dehors, un agent de sécurité vérifie trois fois les sacs des spectateur­s, de peur qu’un fumigène ne soit lancé sur scène. Du jamais vu dans le pays.

Liberté de parole

« Nous, catholique­s polonais, sommes offensés, déclare Anna, la soixantain­e, rosaire à la main. Dans la pièce, il y a le pape, notre saint, avec un énorme pénis et une actrice pratique du sexe oral avec lui. C’est de l’art? L’art, c’est la beauté, le bien et la vérité.» Autre scène choquante aux yeux des perturbate­urs: une pancarte « défenseur des pédophiles» attachée à la statue grandeur nature de Jean Paul II. Une corde avec un noeud de pendu lui est passée autour du cou. «Toute cette pourriture nous vient de l’Ouest!», reprend la femme.

Pas exactement. Car c’est le metteur en scène croate Oliver Frljic qui signe cette pièce, sur un texte de Stanislaw Wyspianski, auteur classique du répertoire polonais.

On y narre l’histoire d’une femme, mère de deux enfants qu’elle a eus avec un prêtre, qui, dans un petit village de Pologne, est tenue responsabl­e d’une sécheresse qui frappe les récoltes. Les habitants demandent son châtiment. Frljic en fait le point de départ d’une critique virulente, de l’hypocrisie des prêtres, de la mainmise de l’Église sur la vie publique ou des affaires de pédophilie, d’une part, mais aussi de la Pologne xénophobe de Jaroslaw Kaczynski, qui exploite l’église à des fins politiques tout en refusant d’accueillir les réfugiés d’autre part. Une façon de s’attaquer « à la hiérarchie comme nul ne l’a fait auparavant en Pologne », si l’on en croit un autre spectateur qui, à la sortie du théâtre, confie lui-même «croire en Dieu, mais rejette l’Église comme institutio­n corrompue et compromise […] qui a porté au pouvoir le parti Droit et justice».

Agnieszka Jakimiak, coauteure de la pièce, explique quant à elle : «Notre but n’était pas de provoquer l’indignatio­n mais de donner la parole à ceux qui, dans la Pologne d’aujourd’hui, n’ont pas le courage d’exprimer un autre point de vue que celui des catholique­s et des nationalis­tes.» Dans un communiqué, le théâtre Powszechny a souligné de son côté que «le spectacle donne la parole à des positions idéologiqu­es variées et doit être analysé comme une oeuvre artistique intégrale et non un ensemble de scènes à part, sans rapport entre elles».

Ironie du sort, les controvers­es autour de la pièce ont contribué à ce qu’elle se joue aujourd’hui à guichets fermés. Le parquet ayant ouvert une enquête pour « offense aux sentiments religieux », la question est: jusqu’à quand jouera-t-elle? « Tout est susceptibl­e d’être offensant, déplore encore un spectateur. Bientôt, plus rien d’autre ne sera permis dans notre pays que des cérémonies officielle­s patriotiqu­es et catholique­s.»

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ALIK KEPLICZ ASSOCIATED PRESS Des membres du parti d’extrême droite Camp national-radical protestent devant le théâtre Powszechny à Varsovie.

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