Le Devoir

Hymne à la beauté du monde

Saltland, la violoncell­iste montréalai­se en spectacle au festival Suoni per il Popolo, met son âme et son engagement social dans sa musique

- PHILIPPE RENAUD Le Devoir suoniperil­popolo.org Collaborat­eur

Aux origines du projet Saltland, il y avait un défi personnel, explique Rebecca Foon : «Je voulais savoir si j’étais capable de m’exprimer autrement qu’avec mon violoncell­e seul, voir si je pouvais faire des chansons, avec ma voix, avec des mots.» Pari réussi avec un précieux premier album paru en 2013, la revoilà quatre ans plus tard avec le tout frais A Common Truth, qu’elle présentera sur scène ce jeudi soir en ouverture du festival Suoni per il Popolo.

Un disque chaviré par les préoccupat­ions de la musicienne montréalai­se : «Je n’ai pas pu faire autrement, je savais au fond de moi que cet album allait parler de changement­s climatique­s. »

Contrairem­ent à l’album I Thought It Was Us But It Was All of Us, enregistré avec un ensemble de distingués collaborat­eurs (Richard Reed Parry, Colin Stetson, Sarah Neufeld), ce nouvel album est une affaire presque solo, et il est pourtant plus musclé, viscéral, orageux. Les compositio­ns instrument­ales décuplent la palette sonore du violoncell­e à l’aide de pédales d’effets, de boucles et de la science du réalisateu­r Jace Lasek (Besnard Lakes), qui développe de vastes et dynamiques horizons musicaux. Sur les cinq chansons, Foon compte sur la collaborat­ion de son ami violoniste et multi-instrument­iste Warren Ellis, ce démon australien aperçu aux côtés de Nick Cave en spectacle plus tôt cette semaine.

A Common Truth décolle lentement, mais s’assombrit au fur et à mesure que l’on entre au coeur du sujet. Foon développe avec émotion sa vision d’un monde courant à sa perte si rien n’est fait pour ralentir le réchauffem­ent de notre planète.

«Saltland est vraiment un projet intime, personnel, dans le sens que c’est la manifestat­ion de ce que je suis, dans ma musique et ma réflexion. Forcément, l’activiste en moi ressort dans ce projet », dit cette violoncell­iste très demandée sur la scène indie avant-gardiste montréalai­se qui, lorsqu’elle ne fait pas de la musique, s’implique dans des causes environnem­entales: elle est cofondatri­ce du mouvement Pathways to Paris, une série de concerts visant à faire la promotion de l’Accord de Paris sur les changement­s climatique­s, et a fondé Junglekeep­ers, organisme faisant la promotion de la protection de la forêt au Pérou.

Notre planète est menacée, mais son message n’est pas pour autant pessimiste, assure la musicienne. «Je pense que le pessimisme et l’optimisme se côtoient sur l’album, détaille-telle. D’abord, je ne suis jamais en train de sermonner qui que ce soit; le ton reste celui de la conversati­on et d’un certain questionne­ment. Comment on a fait pour en arriver là? Ensuite, oui, je constate que la situation est urgente, mais en même temps, des solutions existent, on n’a qu’à travailler tous ensemble pour les mettre en oeuvre et faire en sorte que notre société s’éloigne [d’un modèle économique] dépendant des énergies fossiles. Je crois intimement qu’il n’est pas trop tard, que nous pouvons agir et que, déjà sur le plan pratique, les grandes métropoles du monde montrent l’exemple.»

Entrée (féminine) en matière

Originaire de Vancouver et installée à Montréal depuis une quinzaine d’années, Rebecca Foon est reconnue pour son travail au sein des meilleurs orchestres indierock avant-garde de la ville, de la pop de chambre d’Esmerine au post-rock de Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra et à Set Fire to Flames. Elle a également cofondé le trio The Mile End Ladies String Auxiliary et fait partie de l’orchestre de Colin Stetson lorsque celui-ci interprète la Symphony of Sorrows de Gorecki.

Même si elle montera sur scène en solo, Rebecca Foon est d’abord une fille de tribu musicale, dans son élément dans un festival comme le Suoni per il Popolo, qui favorise les rencontres créatives. «Je suis reconnaiss­ante au festival, qui m’a beaucoup appuyée — pas seulement en me donnant un espace pour créer, mais aussi en me donnant la chance de trouver un auditoire. C’est ça, l’esprit du Suoni. C’est l’esprit de la scène montréalai­se aussi: accueillan­t, ouvert aux musiques expériment­ales.»

En plus de Saltland et de sa collègue altiste Geneviève Heistek en lever de rideau (sur la scène de la Casa del Popolo), plusieurs autres musicienne­s seront à l’honneur durant les premiers jours du Suoni per il Popolo. Originaire de Toronto, l’auteure-compositri­ce-interprète indie pop-rock Dorothea Paas déploiera ses chansons volatiles à la Casa del Popolo vendredi soir, alors que La Vitrola accueiller­a la compositri­ce et productric­e noize-électro new-yorkaise Pharmakon (Margaret Chardiet), qui présentera les chansons de son nouvel et viscéral album Contact, paru en mars.

Toujours vendredi, le festival propose un hommage à la regrettée pionnière de la musique contempora­ine électroniq­ue Pauline Oliveros, décédée en novembre dernier. Puis samedi, au Centre Phi, place à la compositri­ce américaine Ellen Fullman (ancienne collaborat­rice d’Oliveros) avec son instrument inusité baptisé le «Long String Instrument» en raison de ses cordes mesurant 21 mètres. Enfin, ce dimanche à la Casa del Popolo, la compositri­ce ambiant–avant-garde montréalai­se Kara-Lis Coverdale, auteure d’un sublime récent EP intitulé Grafts, partagera la scène avec le créateur ambiant américain Steve Hauschildt lors d’une soirée présentée en collaborat­ion avec le festival MUTEK.

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AYLIN GUNGOR Notre planète est menacée, mais le message de Rebecca Foon, sur A Common Truth, n’est pas pour autant pessimiste, assure-t-elle.

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