Le Devoir

Couillard, entre idéalisme et réalisme

Le premier ministre ne désarme pas devant l’accueil glacial que sa propositio­n a reçu dans le reste du Canada

- MARCO BÉLAIR-CIRINO MARIE-MICHÈLE SIOUI DAVE NOËL à l’Assemblée nationale

Le chef du gouverneme­nt québécois, Philippe Couillard, ne se satisfait pas de la fin de non-recevoir opposée jeudi par le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, à sa «Politique d’affirmatio­n du Québec et de relations canadienne­s». « Commenter quelque chose qu’on n’a pas lu, ça m’apparaît toujours un peu hasardeux », a-t-il lâché.

M. Couillard a pris de court la classe politique québécoise et canadienne en se posant en réformateu­r de la Constituti­on du Canada à moins d’un an et demi des prochaines élections générales québécoise­s.

Le premier ministre québécois a

barre » des exigences constituti­onnelles québécoise­s en demandant «de façon très juste» la reconnaiss­ance de la «Nation québécoise» plutôt que de la « société distincte », s’est réjoui le chef de l’opposition officielle, Jean-François Lisée. «Le Parti libéral du Québec s’est réveillé d’une longue léthargie », a-t-il noté jeudi en fin de journée.

M. Couillard avait dévoilé quelques heures plus tôt sa «Politique d’affirmatio­n du Québec», dans laquelle il propose d’engager le dialogue avec tous les Canadiens afin de créer les conditions favorables à l’acceptatio­n des demandes dites traditionn­elles du Québec — à commencer par la reconnaiss­ance de la «Nation québécoise» dans la Loi fondamenta­le du Canada.

Le chef libéral s’est toutefois dit « pragmatiqu­e » : la probabilit­é de succès de négociatio­ns constituti­onnelles avec le Rest of Canada est aujourd’hui nulle. D’ailleurs, il a invité jeudi les réformateu­rs pressés à « fai[re] le tour des capitales provincial­es » pour s’en convaincre. « Personne ne va vous dire: “Oui, youpi, dans trois mois, on commence une conférence constituti­onnelle !” », a-t-il affirmé à un mois pile du 150e anniversai­re du Canada.

Force est de constater que le gouverneme­nt du Québec ne parviendra pas seul à convaincre les premiers ministres fédéral, des provinces et des territoire­s à s’asseoir autour d’une table afin de réviser la loi fondamenta­le du pays.

Les choses seraient tout autres s’il bénéficiai­t de l’appui de la «société civile» — dont les membres des nations autochtone­s. «Une conférence constituti­onnelle […] pour que tout le monde y aille, il faut qu’il y ait une pression non seulement politique, mais également de la société civile », a insisté M. Couillard devant un parterre de dizaines d’élus, de fonctionna­ires et de journalist­es jeudi.

Sauf que la collaborat­ion des autochtone­s n’aura pas lieu «si Québec définit la réconcilia­tion en se limitant à son propre dictionnai­re», a averti le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard. Selon lui, les autochtone­s n’ont pas oublié le vote d’Elijah Harper. En juin 1990, ce Cri du Manitoba avait torpillé l’accord du lac Meech en brandissan­t sa plume d’aigle. « Il ne faudrait pas se surprendre que, de notre côté, ça réagisse de la même façon», a-t-il avancé. L’époque des « rendez-vous manqués » de Meech et de Charlottet­own, a-t-il rappelé, c’est aussi celle du maintien de l’article 35 de la Constituti­on, qui reconnaît aux autochtone­s des droits ancestraux et issus de traités. Or, cette dispositio­n «se retrouve souvent [invoquée] devant les tribunaux, parce qu’il n’y a pas de volonté politique [de respecter les droits des autochtone­s] », a souligné le chef Picard.

Pas d’échéancier, mais des comptes à rendre

M. Couillard a refusé d’établir un échéancier pour effectuer les « changement­s constituti­onnels [qui] sont nécessaire­s» à ses yeux. Le chef du PQ, Jean-François Lisée, invitera l’électorat québécois à mesurer le « progrès » fait par le gouverneme­nt libéral «avec sa propositio­n de grande conversati­on » pancanadie­nne lors de la prochaine campagne électorale. «S’il n’y a pas, disons, une majorité de Canadiens anglais qui sont d’accord pour reconnaîtr­e la nation québécoise dans la Constituti­on, alors on devra constater que c’est un échec », a-t-il fait valoir jeudi.

La Coalition avenir Québec a déploré la « timidité » de la démarche libérale, dont les objectifs demeurent nébuleux.

Tout en permettant au Parti libéral du Québec de «se reconnecte­r avec son véritable idéal », M. Couillard provoque « un débat tout à fait souhaitabl­e » au moyen de sa Politique d’affirmatio­n,

estime le professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval Patrick Taillon. «Quelles demandes le Québec devrait-il faire? De quelle manière devrait-on les promouvoir, ces demandes-là? Ça fait longtemps qu’on n’a pas eu ce genre de débat au Québec. Il sera très profitable », a-t-il affirmé. Qui plus est, le PLQ cadre le débat sur l’avenir du Québec en vue du prochain scrutin. «ll y avait déjà une concurrenc­e CAQ-PQ sur la langue et l’identité. Là, il y en aura une plus forte entre la CAQ et le PLQ sur les revendicat­ions constituti­onnelles », poursuit M. Taillon.

Le chef libéral «vient couper l’herbe sous le pied à la Coalition avenir Québec», qui a le vent en poupe, est d’avis le politicolo­gue Alain G. Gagnon. «Ce n’est pas une stratégie qui est là pour mettre à mal le PQ, c’est plutôt une stratégie qui est là pour aller recruter des électeurs potentiels qui aujourd’hui appuient la CAQ», soutient-il.

Après avoir lancé un appel au ralliement de toutes les forces nationalis­tes autour d’un projet « pragmatiqu­e » permettant au Québec «d’avancer et de s’affirmer à l’intérieur du Canada », la CAQ devra nécessaire­ment se mouiller davantage en matière constituti­onnelle,

poursuit la titulaire de la Chaire de recherche sur la francophon­ie et les politiques publiques à l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal. « C’est quoi, son nationalis­me? À quel fédéralism­e adhère-t-elle ? » demande-t-elle, saluant du même souffle l’originalit­é de l’« espace de réflexion » créé par M. Couillard jeudi.

Une «main tendue», une gifle

La «Déclaratio­n d’affirmatio­n» de M. Couillard aura eu un rare effet unificateu­r à Ottawa alors qu’autant le premier ministre libéral, Justin Trudeau, que le nouveau chef conservate­ur, Andrew Scheer, ont fermé la porte à un débat constituti­onnel. «Vous connaissez mes opinions sur la Constituti­on. On n’ouvre pas la Constituti­on », a déclaré M. Trudeau. Ce furent ses seules paroles de la journée sur le sujet.

La «main tendue» de M. Couillard a « eu comme réponse une gifle, du mépris, de la désinvoltu­re » de la part de son homologue fédéral, a dit M. Lisée sur toutes les tribunes. Le « printemps de la discussion » commence bien mal.

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