Couillard, entre idéalisme et réalisme
Le premier ministre ne désarme pas devant l’accueil glacial que sa proposition a reçu dans le reste du Canada
Le chef du gouvernement québécois, Philippe Couillard, ne se satisfait pas de la fin de non-recevoir opposée jeudi par le premier ministre fédéral, Justin Trudeau, à sa «Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes». « Commenter quelque chose qu’on n’a pas lu, ça m’apparaît toujours un peu hasardeux », a-t-il lâché.
M. Couillard a pris de court la classe politique québécoise et canadienne en se posant en réformateur de la Constitution du Canada à moins d’un an et demi des prochaines élections générales québécoises.
Le premier ministre québécois a
barre » des exigences constitutionnelles québécoises en demandant «de façon très juste» la reconnaissance de la «Nation québécoise» plutôt que de la « société distincte », s’est réjoui le chef de l’opposition officielle, Jean-François Lisée. «Le Parti libéral du Québec s’est réveillé d’une longue léthargie », a-t-il noté jeudi en fin de journée.
M. Couillard avait dévoilé quelques heures plus tôt sa «Politique d’affirmation du Québec», dans laquelle il propose d’engager le dialogue avec tous les Canadiens afin de créer les conditions favorables à l’acceptation des demandes dites traditionnelles du Québec — à commencer par la reconnaissance de la «Nation québécoise» dans la Loi fondamentale du Canada.
Le chef libéral s’est toutefois dit « pragmatique » : la probabilité de succès de négociations constitutionnelles avec le Rest of Canada est aujourd’hui nulle. D’ailleurs, il a invité jeudi les réformateurs pressés à « fai[re] le tour des capitales provinciales » pour s’en convaincre. « Personne ne va vous dire: “Oui, youpi, dans trois mois, on commence une conférence constitutionnelle !” », a-t-il affirmé à un mois pile du 150e anniversaire du Canada.
Force est de constater que le gouvernement du Québec ne parviendra pas seul à convaincre les premiers ministres fédéral, des provinces et des territoires à s’asseoir autour d’une table afin de réviser la loi fondamentale du pays.
Les choses seraient tout autres s’il bénéficiait de l’appui de la «société civile» — dont les membres des nations autochtones. «Une conférence constitutionnelle […] pour que tout le monde y aille, il faut qu’il y ait une pression non seulement politique, mais également de la société civile », a insisté M. Couillard devant un parterre de dizaines d’élus, de fonctionnaires et de journalistes jeudi.
Sauf que la collaboration des autochtones n’aura pas lieu «si Québec définit la réconciliation en se limitant à son propre dictionnaire», a averti le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard. Selon lui, les autochtones n’ont pas oublié le vote d’Elijah Harper. En juin 1990, ce Cri du Manitoba avait torpillé l’accord du lac Meech en brandissant sa plume d’aigle. « Il ne faudrait pas se surprendre que, de notre côté, ça réagisse de la même façon», a-t-il avancé. L’époque des « rendez-vous manqués » de Meech et de Charlottetown, a-t-il rappelé, c’est aussi celle du maintien de l’article 35 de la Constitution, qui reconnaît aux autochtones des droits ancestraux et issus de traités. Or, cette disposition «se retrouve souvent [invoquée] devant les tribunaux, parce qu’il n’y a pas de volonté politique [de respecter les droits des autochtones] », a souligné le chef Picard.
Pas d’échéancier, mais des comptes à rendre
M. Couillard a refusé d’établir un échéancier pour effectuer les « changements constitutionnels [qui] sont nécessaires» à ses yeux. Le chef du PQ, Jean-François Lisée, invitera l’électorat québécois à mesurer le « progrès » fait par le gouvernement libéral «avec sa proposition de grande conversation » pancanadienne lors de la prochaine campagne électorale. «S’il n’y a pas, disons, une majorité de Canadiens anglais qui sont d’accord pour reconnaître la nation québécoise dans la Constitution, alors on devra constater que c’est un échec », a-t-il fait valoir jeudi.
La Coalition avenir Québec a déploré la « timidité » de la démarche libérale, dont les objectifs demeurent nébuleux.
Tout en permettant au Parti libéral du Québec de «se reconnecter avec son véritable idéal », M. Couillard provoque « un débat tout à fait souhaitable » au moyen de sa Politique d’affirmation,
estime le professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval Patrick Taillon. «Quelles demandes le Québec devrait-il faire? De quelle manière devrait-on les promouvoir, ces demandes-là? Ça fait longtemps qu’on n’a pas eu ce genre de débat au Québec. Il sera très profitable », a-t-il affirmé. Qui plus est, le PLQ cadre le débat sur l’avenir du Québec en vue du prochain scrutin. «ll y avait déjà une concurrence CAQ-PQ sur la langue et l’identité. Là, il y en aura une plus forte entre la CAQ et le PLQ sur les revendications constitutionnelles », poursuit M. Taillon.
Le chef libéral «vient couper l’herbe sous le pied à la Coalition avenir Québec», qui a le vent en poupe, est d’avis le politicologue Alain G. Gagnon. «Ce n’est pas une stratégie qui est là pour mettre à mal le PQ, c’est plutôt une stratégie qui est là pour aller recruter des électeurs potentiels qui aujourd’hui appuient la CAQ», soutient-il.
Après avoir lancé un appel au ralliement de toutes les forces nationalistes autour d’un projet « pragmatique » permettant au Québec «d’avancer et de s’affirmer à l’intérieur du Canada », la CAQ devra nécessairement se mouiller davantage en matière constitutionnelle,
poursuit la titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques à l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal. « C’est quoi, son nationalisme? À quel fédéralisme adhère-t-elle ? » demande-t-elle, saluant du même souffle l’originalité de l’« espace de réflexion » créé par M. Couillard jeudi.
Une «main tendue», une gifle
La «Déclaration d’affirmation» de M. Couillard aura eu un rare effet unificateur à Ottawa alors qu’autant le premier ministre libéral, Justin Trudeau, que le nouveau chef conservateur, Andrew Scheer, ont fermé la porte à un débat constitutionnel. «Vous connaissez mes opinions sur la Constitution. On n’ouvre pas la Constitution », a déclaré M. Trudeau. Ce furent ses seules paroles de la journée sur le sujet.
La «main tendue» de M. Couillard a « eu comme réponse une gifle, du mépris, de la désinvolture » de la part de son homologue fédéral, a dit M. Lisée sur toutes les tribunes. Le « printemps de la discussion » commence bien mal.