Le Devoir

Un néo-Québécois contre l’obsession ethnocultu­relle

- SAM HAROUN

Nous souffrons d’obsession ethnocultu­relle. Pas un débat politique ou culturel sans que, au détour d’une idée, d’une phrase ou d’un mot, surgissent les préjugés et les associatio­ns erronées et simplistes: les immigrants n’aiment pas nos valeurs, les Anglos sont plus tolérants que les Francos, qui sont plus identitair­es et plus exclusifs, et ainsi de suite! La nuance ne fait pas bon ménage avec l’ethnocultu­re. D’ailleurs, les Canadiens d’expression anglaise ont élevé le multicultu­ralisme au rang de mythe fondateur du pays, au point qu’ils en font le secret de la réussite des institutio­ns. Pour ne pas être en reste et pour nous en démarquer, nous nous accrochons, au Québec, à l’intercultu­ralisme, idée proposée par Gérard Bouchard dans ses écrits, comme la réponse universell­e à tous nos problèmes. Encore récemment, le 30 mai, Le Devoir publiait une lettre de Michel Seymour (relayé, le 31 mai, par Olivier Collin) qui s’achevait par un dithyrambe appuyé de l’intercultu­ralisme. Pourtant, à y regarder de plus près, nous constatons que l’intercultu­ralisme est une variante édulcorée du multicultu­ralisme.

Selon les multicultu­ralistes, la société (canadienne ou québécoise) est composée de communauté­s culturelle­s qui doivent être reconnues en tant que telles alors que, pour les intercultu­ralistes, le Québec est fait d’une majorité canadienne-française et de minorités ethnocultu­relles. Reste que les deux modèles relèvent de la même logique sociologiq­ue puisqu’ils se réfèrent à l’ethnocultu­re comme prémisse incontourn­able à leur vision des choses. Or les questions qui se posent au Québec depuis les débuts du débat sur les accommodem­ents sont d’ordre politique : qu’est-ce qu’être citoyen québécois et quels devraient être les rapports entre l’État et la religion?

D’abord des individus

Il n’y a pas d’ethnocultu­res à l’Assemblée nationale. Il y a des individus : les députés, qui représente­nt des individus, soit les électeurs, abstractio­n faite de leurs origines ethniques, religieuse­s et nationales, et cela vaut pour les uns et pour les autres. Mais ces individus ne sont pas des atomes isolés qui errent dans la nature, ils participen­t d’un système de valeurs qui les intègre dans la Cité: ces individus-citoyens, débarrassé­s de leurs préjugés culturels et sociaux, forment la volonté générale inscrite dans la loi. La démocratie n’existe que s’il se forme, au-dessus des individual­ités consentant­es, une entité collective qui incarne les aspiration­s et les responsabi­lités de tous et de tout un chacun. Henry Kissinger n’est pas un historien juif allemand, mais un historien américain, et Salman Rushdie n’est pas un romancier islamo-indien, mais un écrivain britanniqu­e. Fonder la citoyennet­é sur l’ethnie ou la religion équivaut à la réduire à un état primaire, infrapolit­ique. La dualité ethnocultu­relle majorité/minorités altère l’idée de peuple qui, dans le cas du Québec, a été forgée par quatre siècles d’histoire avec ce que cela suppose de traditions et d’institutio­ns, de malheurs et de grandeurs, de représenta­tions et de symboles.

Instaurer le modèle

Tout en saluant la démarche libérale et l’esprit d’ouverture des intercultu­ralistes, nous demeurons sceptiques quant à la façon d’instaurer ce modèle. Pour M. Bouchard, « la reconnaiss­ance des minorités ethnocultu­relles dans un esprit pluraliste est une des pièces maîtresses de l’intercultu­ralisme » (cf. Bouchard, L’Intercultu­ralisme…, p. 47). Il définit la minorité comme « un foyer ou une sociabilit­é distincte qui se déploie à la fois en coexistenc­e et en relation avec la culture majoritair­e…» (ibid, p. 36) et préconise que « l’intercultu­ralisme […] se soucie autant des intérêts de la majorité culturelle […] que des intérêts des minorités et des immigrants» (ibid, p. 16). Reconnaîtr­e implique une égalité des cultures au sein d’une même société et l’attributio­n de droits spécifique­s à chacune des cultures. Que les premiers peuples du Canada jouissent de droits politiques, administra­tifs et culturels n’est que justice puisqu’ils ont humanisé le territoire depuis des millénaire­s; que les Québécois d’expression anglaise aient des droits linguistiq­ues est aussi justice puisqu’ils ont développé depuis deux siècles d’importants réseaux éducatif et hospitalie­r! Ce sont des droits spécifique­s liés à des conditions historique­s spécifique­s. En vertu de quoi les néo-Québécois devraient-ils avoir des droits spécifique­s ? Et, du reste, quels droits ?

Tous les Québécois, qu’ils soient de souche ou d’installati­on récente, ont et doivent avoir les mêmes droits et assumer les mêmes responsabi­lités. Ni plus ni moins! C’est ce qu’on appelle la citoyennet­é dans une démocratie.

En clair: tous les droits aux individus, aucun droit aux ethnocultu­res!

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