Le Devoir

L’engagement du Canada envers les communauté­s autochtone­s ne répond pas au droit internatio­nal

- BOB RAE, OLIVER MACLAREN, SARAH COLGROVE, BENJAMIN BROOKWELL, JULIE-ANNE PARISEAU Avocats au sein du cabinet Olthuis Kleer Townshend LLP

Le 1er juin 2017, le Canada disait au revoir aux quatre délégués des Nations unies en visite qui ont passé les dix derniers jours à rencontrer des communauté­s à travers le pays afin d’en apprendre davantage sur l’impact des entreprise­s d’ici sur les droits de la personne protégés par le droit internatio­nal. Au cours de la prochaine année, ils rédigeront leur rapport, et les droits des peuples autochtone­s seront au coeur même de ce rapport.

Le Canada est en avance sur de nombreux autres pays en matière de reconnaiss­ance des droits des peuples autochtone­s, mais il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Les tribunaux canadiens, les gouverneme­nts, les entreprise­s et la société civile doivent reconnaîtr­e que le consenteme­nt libre, préalable et éclairé est une exigence essentiell­e afin de défendre les droits des peuples autochtone­s dans un contexte de droit internatio­nal.

Après plus d’une décennie à s’y opposer, le Canada a finalement annoncé l’an dernier qu’il appuyait pleinement la Déclaratio­n des Nations unies sur les droits des peuples autochtone­s (la «Déclaratio­n»). En 2007, le Canada avait été l’un des quatre États à voter contre la Déclaratio­n. Lorsqu’il a finalement annoncé son soutien en 2016, le gouverneme­nt a été acclamé pour sa décision. Mais, peu de temps après, le gouverneme­nt a précisé que son soutien à la Déclaratio­n se ferait « conforméme­nt à la Constituti­on canadienne existante ».

Or il existe une différence considérab­le entre les exigences constituti­onnelles du Canada concernant le traitement des peuples autochtone­s et les exigences du droit internatio­nal.

Une différence importante se situe au chapitre du standard de consultati­on, où le droit internatio­nal exige un standard plus exigeant, soit le consenteme­nt des communauté­s autochtone­s. Dans le cadre de la Déclaratio­n, lorsque les États agissent de manière à avoir un impact sur les droits des peuples autochtone­s, ils ont l’obligation de les consulter pleinement et de ne pas donner le feu vert au projet proposé avant de recevoir le consenteme­nt « libre, préalable et informé» des communauté­s af fectées.

La Déclaratio­n ne constitue pas l’unique forum exigeant le consenteme­nt à titre de standard. La norme du consenteme­nt au développem­ent de projets a en effet été adoptée par de nombreuses agences et organisati­ons internatio­nales de développem­ent, telles que la Banque mondiale et la Société financière internatio­nale, de même que par certains prêteurs privés soumis aux Principes de l’Équateur. Ceci est notamment dû au fait que la norme de consenteme­nt est de plus en plus considérée comme un outil pouvant éliminer les risques liés au développem­ent de projets. En effet, contrairem­ent à la consultati­on qui démontre le processus de discussion avec les population­s affectées, la norme de consenteme­nt, quant à elle, est sans ambiguïté et permet plus de certitude.

Place à la consultati­on

Tout comme la Déclaratio­n, notre Constituti­on exige que les gouverneme­nts consultent les peuples autochtone­s avant de prendre des mesures susceptibl­es d’affecter leurs droits. Cependant, les tribunaux canadiens ont souvent déclaré que la consultati­on ne nécessite généraleme­nt pas de consenteme­nt. Par crainte d’un pouvoir de veto, les autorités gouverneme­ntales soutiennen­t fréquemmen­t que le consenteme­nt n’est pas nécessaire.

Le droit internatio­nal exige également que la consultati­on soit libre, préalable et éclairée, et que les population­s autochtone­s puissent participer pleinement aux décisions qui les concernent. Or la validité et la qualité de la consultati­on seront grandement affectées par la capacité des communauté­s autochtone­s d’avoir accès à des ressources financière­s adéquates qui leur permettron­t de faire une évaluation complète du projet.

Au Canada, la consultati­on est habituelle­ment considérée comme un obstacle administra­tif plutôt que comme un processus de prise de décision partagée. La consultati­on est souvent non financée, ou encore partiellem­ent financée par l’entreprise qui demande un permis au gouverneme­nt, ce qui rend souvent la capacité des peuples autochtone­s à exercer leurs droits constituti­onnels dépendante du bon vouloir de l’entreprise qui aura des impacts sur le territoire touché. De plus, les délais de consultati­on sont généraleme­nt courts et les services d’experts indépendan­ts sont rarement fournis.

Certains projets canadiens ont reçu le consenteme­nt de communauté­s dans le passé. Cela s’est notamment produit lorsque les entreprise­s ont voulu négocier ouvertemen­t les termes de leurs projets avec les communauté­s autochtone­s locales, leur fournissan­t le temps et le soutien nécessaire­s afin d’évaluer de façon indépendan­te l’impact du projet sur leurs droits et les avantages proposés.

Cependant, jusqu’à ce que les communauté­s autochtone­s aient un accès garanti et adéquat aux ressources dont elles ont besoin pour s’engager dans une consultati­on et un droit reconnu de dire «non» aux développem­ents qui les touchent, les exemples de consenteme­nt réel resteront rares et les processus de consultati­on favorisero­nt plutôt la discorde.

Les tribunaux, les gouverneme­nts, les entreprise­s et la société civile doivent reconnaîtr­e que les relations saines sont fondées sur le consenteme­nt — un consenteme­nt libre, préalable et éclairé. Un an après avoir finalement soutenu la Déclaratio­n, nous devons commencer à l’appliquer à tous les niveaux : en droit, au sein des politiques et programmes gouverneme­ntaux ainsi qu’en matière de contrats privés. Fournir un financemen­t stable, des échéancier­s flexibles et des experts indépendan­ts lors de la consultati­on est la première étape cruciale à mettre en oeuvre. […]

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JUSTIN TANG LA PRESSE CANADIENNE

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