Le Devoir

Front uni pour les femmes musicienne­s

Le milieu musical a encore du chemin à faire pour être équitable

- LOUISE-MAUDE RIOUX SOUCY

Il a fallu un coup de sang de la chanteuse Catherine Durand autour de la faible représenta­tivité des femmes au Festival musical indépendan­t Diapason (FMID) pour que tout déboule. En moins de 48 heures, Femmes en musique naissait, nourri par les réflexions coordonnée­s d’Amylie, d’Ariane Brunet, des soeurs Mélanie et Stéphanie Boulay, de Catherine Durand, de Safia Nolin et d’Ariane Moffatt. Un regroupeme­nt né d’un cri du coeur qu’elles souhaitent constructi­f, mais néanmoins senti.

Dans une lettre publiée en nos pages, ces créatrices revendique­nt un traitement équitable de la part d’un milieu qui, disent-elles, véhicule encore sa part de sexisme et de préjugés. Cela en plus de nourrir des inégalités salariales (les femmes gagnent 75% de ce que gagnent les hommes, selon l’Union des artistes) et structurel­les: moins présentes dans les festivals, leur carrière finit aussi plus tôt. À tort, écrivent-elles: «Après tout, un talent est un talent, un succès est un succès, peu importe le sexe.»

En creusant un peu, ces musicienne­s ont réalisé que l’affiche très masculine de Diapason (peu ou prou 14% de présence féminine) n’est pas une exception. «On a épluché les programmat­ions de différents festivals québécois et on a pris la vraie mesure du décalage. C’est souvent moins de 30%, quand ça ne descend pas à 10%. Ça nous a vraiment rentré dedans», racontent Mélanie et Stéphanie Boulay, jointes jeudi au téléphone.

Pourtant, les femmes sont bien ancrées dans le milieu musical. Elles forment 42% des membres de la Société profession­nelle des auteurs et compositeu­rs du Québec (SPACQ) et comptent pour 49 % du volet chanson de l’Union des artistes (UDA). Elles sont aussi largement écoutées et soutenues, fait valoir Stéphanie Boulay. « Les publics féminins existent, ils ont une écoute, des fans .»

En unissant leurs voix, ces créatrices espèrent changer les choses. À leurs yeux, le statu quo n’est pas une option, mais l’électrocho­c n’a pas à se faire dans la confrontat­ion, précise Mélanie Boulay. «La lettre, c’est un wake-up call, pas une finalité en soi. On cherche vraiment à ouvrir la discussion. On évoque des quotas dans la lettre, c’est vrai, mais on espère ne pas avoir à en arriver là. On espère plutôt y arriver par le dialogue. Par l’éducation, aussi. »

Préoccupat­ions partagées

Interrogé sur cette sortie concertée, le Regroupeme­nt des événements majeurs internatio­naux (REMI) a réagi avec prudence. «C’est une démarche sensée, qui s’appuie sur des faits», a commenté son président-directeur général, Martin Roy, tout en tempérant les attentes que pourraient formuler les musicienne­s à l’égard du REMI. «Ce sont évidemment des préoccupat­ions que nous partageons, mais ce sont aussi des préoccupat­ions qui reviennent en premier lieu aux programmat­eurs, et même qui dépassent les festivals pour interpelle­r tout le milieu de la musique.»

Chez Spectra, poids lourd de l’industrie festivaliè­re, la lettre évoque une préoccupat­ion qui fait déjà partie intégrante de la mécanique des programmat­ions, explique Laurent Saulnier, vice-président programmat­ion des FrancoFoli­es de Montréal dont l’affiche féminine frôle les 40 % cette année. « Ça nous concerne tous. C’est d’ailleurs pour ça qu’on se pose tout le temps la question quand on travaille nos programmat­ions. [… ] Mais une fois qu’on a dit ça, franchemen­t, chez nous, on se sent moins interpellé­s que solidaires. On a vraiment l’impression de faire du bon boulot. »

Il cite le projet Louve que les Francos sont à dessiner avec Ariane Moffatt et une impression­nante gang de filles. Projet justement né de la volonté de «montrer l’exemple», explique Laurent Saulnier, qui a lui-même signé ladite lettre. « Je dis souvent que les Francos sont là aussi pour donner l’exemple. Pour montrer que la scène québécoise est riche de toutes sortes de courants, que du rap, ça se fait aussi en français, que le hip-hop au Québec, c’est là pour rester. Eh bien, c’est vrai aussi pour la présence féminine, qui est forte et très riche. »

Cette richesse, il faut la mettre en avant, croient les Soeurs Boulay, qui comptent bien faire vivre ce groupe en soutien au talent féminin longtemps, de concert avec ses membres, d’ailleurs toujours plus nombreux. En fin de journée jeudi, près de 300 signatures accompagna­ient la lettre de Femmes en musique. «On est tellement nombreuses, le mouvement va tenir, on est plusieurs à le porter et à y croire», se réjouit Stéphanie Boulay.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR C’est Catherine Durand qui la première a réagi sur la faible représenta­tivité des femmes au festival musical Diapason.

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