Le Devoir

Cet imprévisib­le pinot noir (2)

- JEAN AUBRY

Vous pensiez en rester là avec le pinot noir ? Tout le contraire était pourtant prévisible! Surtout qu’il y a abondance en la matière à la SAQ. Je n’ai pu résister une fois de plus cette semaine à tirer 12 d’entre eux de l’anonymat des tablettes. Dans une fourchette de prix allant de 17$ à 50$ — mon budget me soustrayan­t au privilège de jouir corps et âme du bourgogne La Tâche 2013 du Domaine de la Romanée Conti à… 1255$ le flacon de 75 centilitre­s. Rêvons-le donc.

Pour le reste, styles, expression­s et messages différents pour des pinots dont la majorité, eh oui ! sont tout de même issus de la belle Bourgogne. Excusez-le.

Pinot Noir 2012, Château des Charmes, Vallée de la Niagara, Canada (17$ – 10745495). Petite fatigue, il me semble, côté fruit, tel ce paysan fourbu après une journée de labeur aux champs. Mâche et souplesse tout de même. Amorce son déclin. Servir frais. (5) ★★ Saint Clair Pinot Noir 2015, Marlboroug­h, Nouvelle-Zélande

(23,80 $ – 10826543). La région de Marlboroug­h propose de ces pinots toniques reconnaiss­ables entre tous. L’envolée est ici friande, presque sapide, expressive, vineuse, épicée, mais tout de même simple d’expression. (5) ★★1/2

Quails’s Gate Pinot Noir 2014, Okanagan Valley, Canada (29,10$ – 11889669). Ce beau pinot trouve ses marques avec les millésimes qui passent et gagne en profondeur. Il y a ici du «fond», un fruité juste et bien étoffé et matière à se régaler, sans être trop nostalgiqu­e de la mère patrie. À rechercher, car les quantités sont limitées. (5) ★★★ © Churton Pinot Noir 2013, Marlboroug­h, Nouvelle-Zélande

(36$ – 10383447). La patine est reconnaiss­able à ce grain fruité particuliè­rement serré, formant une trame qui ne manque pas de tenue ni d’élégance. Un rouge sec encore jeune, bien lié et bien cadré sur le plan fruité, qui commence à se nuancer. On sent ici à la fois un lieu et un humain qui a su le rendre crédible. Long en

bouche. (5+) ★★★1/2 © Tuli 2015, Sonoma County,

États-Unis (29,95$ – 12848990). Sans vouloir imposer mes goûts personnels, ce rouge puissant trace tout de même à gros traits un pinot noir dont on a ici tiré toute la sève, et ce, jusqu’au dernier gramme d’extrait sec disponible. En plus de le laisser s’arrondir sous des sucres résiduels qui le privent de toute finesse aromatique et gustative. Mais voilà, ça colle parfaiteme­nt sur un canard à l’orange! Alors, mes goûts personnels, on s’en tape! (5) ★★1/2 © Bourgogne Rouge 2015, Fougeray de Beauclair, France

(23,80 $ – 12526413). Brillance et pertinence doublées d’un éclat et d’un fruit primeur à vous croquer les bajoues tant la joie vive est manifeste ici. Du pinot de printemps qui a toutes ses dents et le désir de vous en faire boire! Le bonheur tout de suite d’une maison de renom. (5) ★★★ Bourgogne 2014, Couvent des Jacobins, Jadot, France

(24,40$ – 966804). Classique jusqu’au bout des doigts de la grappe, avec cette espèce de recueillem­ent cistercien où moines et barriques unissent leurs destinées communes. Le fruité a du panache, mais sobrement, tout en étant mûr, frais, avec ce qu’il faut de tanins pour structurer sans pénaliser le palais. (5) ★★★

Bourgogne du Château Pinot Noir 2013, Château de Meursault, Bourgogne, France (32,25$ – 11469576). Le prix apparaîtra élevé pour un simple «régional», mais c’est que le prince est bien fringué. Si on aime le style légèrement boisé. Pas très large ni profond, mais doté d’une précision, d’une luminosité, d’un équilibre manifestes. On s’approvisio­nne avec les bons fruits dans cette maison, ça se goutte. (5+) ★★★ ©

Bourgogne Hautes-Côtes de Nuits 2014, Naudin-Ferrand, France (34 $ – 11668698). La Bourgogne existe en partie parce qu’il y a des femmes comme Claire Naudin. Sensibilit­é, respect, humanité, sans compter ce discours à la fois naturel et raffiné livré dans chacune des cuvées. Pas de flafla inutile, mais une sobriété de bon aloi. L’ensemble est mûr, précis, substantie­l, long en

bouche. Toujours très recommanda­ble. (5+) ★★★1/2 ©

Marsannay «La Charme au Prêtre» 2014, Pierre Naigeon, Bourgogne, France (43,75$ – 12875576). Je ne connaissai­s pas la maison, mais j’aime déjà ce style de pinot épuré sans être toutefois austère, substantie­l sans être lourd, à la fois terrien et intellectu­el tout en étant soumis à un élevage encore un rien dominant actuelleme­nt. Grand vin de volaille et d’envolées lyriques à table! (5+) ★★★1/2 ©

Côtes de Beaune 2014, Joseph Drouhin, Bourgogne,

France (50$ – 12485201). J’ai toujours cette impression avec la maison Drouhin que les vins ont fait leur cours classique avec option grec et latin tant ils sont bien élevés et cultivés. L’expression est claire et ne tolère aucune dispersion ni dilution de propos, tant sur la densité du fruit que sur l’équilibre d’ensemble. Avec ce souci de l’élégance toujours de mise. Je le dis peu souvent, mais c’est très typé de l’appellatio­n. (5+) ★★★1/2 © Clos Marion 2014, Fixin,

Fougeray de Beauclair, Bourgogne, France (50,50$ – 872952). Cette parcelle, ou lieu-dit, ne révèle qu’au comptegout­tes ce qu’elle a dans le ventre de ses trois hectares ceints de murs. Ça se déplace lentement ici, au nez comme en bouche, tels des sabots de boeuf amoureux de la terre locale. De l’épaisseur dans le fruité, des nuances épicées, une franche longueur en bouche. Du temps, encore du temps, avant le plein épanouisse­ment. (10+) ★★★1/2 ©

Enfin, pour clore le tout, une envie soudaine d’un verre de «déloyal gamay», histoire de vous rincer les dents avec autre chose? Alors : Y’a bon the canon 2015, A.&J. F. Ganevat, Jura, France (32$ – 12624152). Il se passe dans les vins du clan Ganevat quelque chose d’intolé-rablement dérangeant, pour ne pas dire de sublimemen­t bouleversa­nt. Ça vous arrache à vos rêveries pour vous plonger dans des envies folles de fruit, avec un tel réalisme que vous devenez vousmême le fruit en question. L’immersion se fait ici sur

une base riche en gamay, en très loyal gamay il va sans dire, d’une sève, d’une mâche, d’une fraîcheur à vous envenimer la soif. Un canon bio plein de bonnes intentions! (5+) ★★★★ Fines bulles en Franciacor­ta

Vous connaissez cette minuscule appellatio­n lombarde tout au sud du lac d’Iseo mais à l’ouest du magnifique lac de Garde où s’enchaînent les valpolicel­las, bardolinos et autres soaves? Les Champenois, eux, la connaissen­t très bien et ils en sont un tantinet jaloux. Les Vénitiens, eux, la connaissen­t aussi, ils sont bien sûr jaloux et c’est bien pourquoi ils noient leur chagrin plus à l’est dans des hectolitre­s de prosecco bon marché.

Quant à vous, ami lecteur, vous en avez bien sûr entendu parler, mais voilà, vous essayez tant bien que mal de vous en procurer et y arrivez à peine tant les flacons sont rares sur les tablettes. Et c’est bien malheureux. Pourquoi? Parce que ces mousseux issus de la fameuse metodo classico (lire champenois­e) sont bus par près de 90 % des Italiens eux-mêmes!

Nous serions privilégié­s, semble-t-il, d’avoir sous la main ces Bellavista, Ca’del Bosco, Pizzini et Antinori, sans compter ces Gatti, Majolini, Monte Rossa, Berlucchi et Uberti disponible­s en importatio­ns privées, des maisons, hors Champagne, qui s’affichent parmi les meilleures ambassadri­ces de fines bulles sur la planète vin.

Faites sauter le bouchon de la Cuvée Royale Brut du Marchese Antinori (29,60 $ – 10678616) à dominante de chardonnay pour vous en convaincre. C’est fin, satiné, aérien, d’un moelleux et d’une profondeur qui témoignent de ses 30 mois à s’enrichir sur lies fines. Faites vite, cependant, amateurs à l’affût ! (5) ★★★1/2

Autre cuvée, celle-là devant nous parvenir au coeur de l’été, Franciacor­ta Ricci Curbastro Satèn Brut (autour de 45$), un chardonnay peu dosé, d’une élégance folle, encore une fois sublime de texture, doté d’un profil qui le rapproche sensibleme­nt d’un climat chablisien d’exception. Mais avec bulles. Racé. (5+) ★★★1/2

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JEAN AUBRY Pinot noir en mai, épargné des gels printanier­s à Nuits-Saint-Georges, en Bourgogne
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