Le Devoir

« Assez, c’est assez »

Theresa May estime qu’il faut renforcer la lutte contre le radicalism­e islamiste

- CHRISTIAN RIOUX

Ce dimanche n’était pas un dimanche de printemps normal sur les bords de la Tamise alors que la Grande-Bretagne pansait ses plaies après avoir été terrassée par un troisième attentat islamiste en trois mois, qui a fait 7 victimes et 48 blessés.

Pendant que plusieurs victimes étaient toujours entre la vie et la mort, les badauds étaient beaucoup moins nombreux qu’à l’habitude sur les quais de la rive gauche. Mais ils étaient venus de tous les quartiers de Londres rendre hommage aux innocents fauchés la veille par une camionnett­e-bélier sur le pont de Londres ou assassinés à coups de couteau dans les bars de Borough Market, sur la rive sud de la capitale.

Frappée pour la troisième fois en trois mois, dimanche, la Grande-Bretagne n’entendait pourtant pas céder à la peur et encore moins annuler une campagne électorale qui doit se terminer jeudi. Sortant de sa réserve,

la première ministre, Theresa May, a haussé le ton d’un cran par rapport à ses interventi­ons précédente­s. Pointant pour une des premières fois ouvertemen­t le radicalism­e islamiste, elle a affirmé que les choses ne pourraient plus continuer comme avant.

« Le moment est venu de dire : assez, c’est assez », a déclaré la première ministre britanniqu­e devant le 10, Downing Street. « Nous ne pouvons pas et ne devons pas penser que les choses pourront continuer ainsi. » Pour une des premières fois depuis les récents attentats, Theresa May a estimé que la guerre contre le groupe armé État islamique (qui a revendiqué dimanche l’attentat de Londres) ne suffira pas à vaincre le terrorisme islamiste. «Nous ne pouvons pas offrir à cette idéologie l’espace sécurisé dont elle a besoin pour prospérer, dit-elle. C’est pourtant exactement ce que font Internet et les grands fournisseu­rs de services en ligne.»

La première ministre se dit déterminée à restreindr­e la liberté d’expression sur Internet des extrémiste­s pour lesquels, dit-elle, «il y a beaucoup trop de tolérance dans notre pays ». Selon Theresa May, «si les attaques récentes ne sont pas liées par des réseaux, elles le sont par une idéologie qui prêche la haine et le communauta­risme ».

Plus réservé, le leader travaillis­te Jeremy Corbyn s’est contenté d’appeler à renforcer l’action policière. Il propose d’engager 10 000 policiers tout en critiquant son adversaire d’avoir réduit les effectifs policiers pendant les six ans où elle a été ministre de l’Intérieur. Jeremy Corbyn précise qu’il faudra cependant mener des « discussion­s

difficiles» avec l’Arabie saoudite et d’autres États du Golfe sur le financemen­t de l’extrémisme islamiste. Face à ceux qui ont évoqué un report des élections à cause des attentats, le candidat travaillis­te a appelé à ne pas céder aux terroriste­s. «Les terroriste­s veulent entraver notre liberté, ils veulent nous empêcher de voter jeudi, et nous ne le leur permettron­s pas», a renchéri le maire travaillis­te de Londres, Sadiq Khan, sur la BBC.

Élections

Ce troisième attentat, revendiqué par le groupe armé État islamique, survient alors que la favorite, Theresa May, partie avec une avance de 20 % sur son adversaire, n’a cessé de chuter dans les sondages sans jamais pour autant être donnée perdante. Samedi, le quotidien The Telegraph annonçait une légère remontée (avec un écart de 9%) de la première ministre qui a déclenché cette élection afin de conforter sa majorité avant le début des négociatio­ns du Brexit. Certains sondages réduisent cependant cette avance à un maigre 4 %.

« Je ne crois pas que ce nouvel attentat change grand-chose au résultat de l’élection, disait Andrew, un comptable de 40 ans venu du nord de la capitale autant par curiosité que pour se recueillir sur les lieux du drame. Normalemen­t, ces attentats favorisent la droite, mais je crois que les électeurs ont déjà fait leur choix.» Les analystes s’attendent à ce que les attentats occupent toute la place dans les quatre prochains jours. «Alors que l’élection entre dans sa dernière ligne droite, écrit le chef du bureau politique de la BBC, Laura Kuenssberg, la question de savoir qui peut le mieux assurer la sécurité du pays est clairement sur la table. »

Les opinions divergent. «Theresa May a des mots durs, mais son bilan dans la lutte contre l’islamisme est affreux», écrit le journalist­e Stephen Collar dans The Telegraph. Dans le Guardian, le chroniqueu­r Matthew d’Ancona estime qu’elle a plutôt « raison sur l’extrémisme. On ne peut pas se censurer par peur d’offenser quelqu’un.»

Douze arrestatio­ns

En 24 heures, l’enquête policière avait déjà permis de faire 12 arrestatio­ns dans le quartier très multiethni­que de Barking dans l’est de Londres. Ces arrestatio­ns faisaient suite à un raid accompagné d’explosions dans l’appartemen­t d’un des assaillant­s que ses voisins décrivent comme un homme marié et père de deux enfants. La BBC cite une source anonyme évoquant une radicalisa­tion datant d’environs deux ans. Cette même source dit avoir signalé le suspect à la police. Les policiers ont aussi fait des perquisiti­ons dans le quartier de Newham.

On sait maintenant mieux comment les choses se sont passées samedi soir. Vers dix heures, une camionnett­e-bélier a foncé sur des passants qui circulaien­t sur le pont de Londres avant de s’immobilise­r devant un pub situé à la sortie du pont. Trois hommes, qui seront vite abattus, sont alors sortis de la camionnett­e pour attaquer les fêtards au couteau en invoquant Allah. Les témoins font état d’assaillant­s pénétrant dans les bars de Borough Market pour en poignarder les occupants. Quatre policiers ont été blessés dans l’opération. Certains passants ont aussi reçu des balles perdues. Les vestes explosives que portaient les hommes se sont révélées être des leurres.

Toute la journée de dimanche, la police a bloqué un immense périmètre au sud de Londres ainsi que le célèbre pont sur lequel les djihadiste­s ont foncé sur les passants. Les deux stations de métro des environ devaient rouvrir lundi alors que la campagne électorale reprendra son cours. Depuis l’attentat à la voiture-bélier de Westminste­r, en mars derniers, les services de sécurité britanniqu­es auraient déjoué cinq autres projets du même genre.

Dimanche soir, la GrandeBret­agne s’est consolée en écoutant le concert offert à Manchester devant 50 000 personnes en mémoire des victimes de l’attentat d’il y a deux semaines. Dans la presse et à la télévision, certains commentate­urs évoquaient la chanson pour enfants London Bridge is Falling Down (le pont de Londres s’effondre). Mais ils ajoutaient: pas la Grande-Bretagne.

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DANIEL LEAL-OLIVAS AGENCE FRANCE-PRESSE Toute la journée dimanche, les forces policières ont poursuivi l’enquête sur les lieux de l’attentat. La veille, une camionnett­e-bélier avait foncé sur des passants qui circulaien­t sur le pont de Londres avant de s’immobilise­r devant un pub situé à la...
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JUSTIN TALLIS AGENCE FRANCE-PRESSE «Nous ne pouvons pas et ne devons pas penser que les choses pourront continuer ainsi», a soutenu la première ministre britanniqu­e, Theresa May, devant le 10, Downing Street.

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