Le Devoir

Québec veut repousser sa frontière nordique

- DAVE NOËL MARCO BÉLAIR-CIRINO

Le gouverneme­nt québécois (re-)montera au front afin de repousser sa frontière nordique, mais seulement après avoir trouvé des alliés au nord du 49e parallèle. Il compte sortir des «sentiers battus» afin de convaincre Ottawa de réviser le tracé de sa frontière septentrio­nale, qui est actuelleme­nt verrouillé­e aux basses eaux de la baie d’Hudson, peut-on lire dans la Politique d’affirmatio­n du Québec et de relations canadienne­s dévoilée jeudi.

«Je ne négocie pas avec Ottawa, là. Je suis en train de monter un document», a indiqué le ministre responsabl­e des Relations canadienne­s, Jean-Marc Fournier, dans un entretien avec Le Devoir. «J’ai dit aux Cris qu’une fois qu’on aurait notre documentat­ion, ce serait vers eux que nous irions en premier. Alors, je n’irai pas à Ottawa avant d’aller voir ces gens-là.» Les Cris attendent un appel de sa part, a indiqué leur porte-parole.

La rectificat­ion de la frontière de près de 3000 km était l’une des requêtes adressées par le gouverneme­nt Couillard aux partis politiques fédéraux lors de la campagne électorale de 2015. «Il devient urgent de discuter de cette question », écrivait le premier ministre Philippe Couillard dans l’annexe de sa lettre — qui est aujourd’hui introuvabl­e sur son site Web officiel.

«On essaie de la retracer dans des vieux backups», explique le directeur des communicat­ions du ministère du Conseil exécutif, Jérôme Thibodeau. Il y a un peu moins de deux ans, M. Couillard exigeait le prolongeme­nt de la frontière au-delà du rivage de la baie d’Hudson. «Il s’agit de la seule demande du premier ministre pour laquelle les trois principaux partis politiques fédéraux n’ont apporté aucune réponse », rappelle une note d’informatio­n du Se-

crétariat aux affaires intergouve­rnementale­s canadienne­s dont Le Devoir a obtenu copie en vertu de la Loi sur l’accès à l’informatio­n.

Le document caviardé souligne le « caractère unique » du cas québécois en se basant sur l’exemple des autres fédération­s. «Aux États-Unis et en Australie, l’ensemble des États fédérés côtiers profite du prolongeme­nt maritime dont jouit l’État central en vertu de sa souveraine­té externe », souligne à gros traits le document remis au ministre Fournier le 14 janvier 2016.

Fixée sur le rivage de la baie d’Hudson, la frontière québécoise évolue avec les marées, qui sont parmi les plus fortes de la planète. Ainsi, des infrastruc­tures érigées au bout de la terre ferme seraient par moments du ressort du Québec, par moments de celui du Nunavut. «C’est un cas à peu près unique au monde », fait remarquer le géographe Henri Dorion. «C’est un problème qui traîne depuis 1912. Il serait temps de le régler », ajoute-t-il.

Plan Nord

Cette « anomalie » est une entrave pour le développem­ent du Nord québécois. «À l’heure actuelle, les projets économique­s (énergie, télécommun­ication, exploitati­on minière) et les infrastruc­tures maritimes bordant la frontière pourraient se trouver simultaném­ent soumis à l’autorité de plusieurs gouverneme­nts sans qu’aucun mécanisme intergouve­rnemental cohérent et systématiq­ue encadre cette situation particuliè­re», déplore M. Couillard dans sa Politique d’affirmatio­n.

D’ailleurs, la première version du Plan Nord prévoyait la constructi­on d’infrastruc­tures portuaires visant à faciliter l’exportatio­n des ressources naturelles enfouies dans le sol du nord du Québec. Le gouverneme­nt de Jean Charest avait prévu 33 millions sur cinq ans pour la réalisatio­n d’études de faisabilit­é en vue de l’aménagemen­t d’un port en eaux profondes à Whapmagoos­tuiKuujjua­rapik, à la jonction des territoire­s cris et inuits.

«Ce port aurait d’importante­s retombées », martelait le ministre des Finances, Raymond Bachand en 2011. Avec l’ouverture du passage du Nord-Ouest, cette infrastruc­ture aurait favorisé les échanges avec la Russie, la Norvège et le Groenland, indiquent les documents budgétaire­s de l’époque.

L’autoroute nordique tarde toutefois à prendre forme, souligne Frédéric Lasserre, du Départemen­t de géographie de l’Université Laval. « Je serais très surpris que l’on atteigne [même à long terme] des trafics comparable­s avec ce qui se fait à Suez ou à Panama.»

Le ministre responsabl­e du Plan Nord, Pierre Arcand, dit «pour l’instant, privilégie[r] le transport par train». «Mais il n’y a rien qui nous dit qu’un jour, ça ne peut pas changer », affirme-t-il au Devoir. Mais, l’élu ne partage pas l’empresseme­nt de son ex-collègue Raymond Bachand à vouloir aménager un port en eaux profondes dans le Nord. «Pour l’instant, le volume ne justifie pas des investisse­ments aussi massifs que ça», dit-il sans détour. « [Cependant,] la prémisse de base est toujours bonne: s’il y a un volume [de ressources minières vouées à l’exportatio­n] qui deviendrai­t suffisant — par exemple dans la fosse du Labrador — et qu’au lieu d’envoyer ça nécessaire­ment à Sept-Îles […] il pourrait y avoir un port en eaux profondes… Pour envoyer par exemple du minerai en Chine, ça sauverait deux jours et demi.»

Un grief en veilleuse depuis... 1912

Le dossier de la frontière septentrio­nale est en veilleuse depuis l’annexion du district d’Ungava, qui a doublé la superficie du Québec en 1912. «Je vois qu’on nous donne le territoire jusqu’au détroit [d’Hudson] », déclarait alors le premier ministre libéral Lomer Gouin. « Mais, que deviennent les îles qui se comptent par milliers le long du littoral. Nous avons exprimé le désir d’avoir les îles, qui nous appartienn­ent tout autant que la terre ferme [… ]. Je pense que cette omission est involontai­re et qu’il suffira d’attirer l’attention du gouverneme­nt sur ce point pour obtenir ce qui nous appartient.» Il a eu tort.

«Le gouverneme­nt fédéral a toujours refusé la demande du gouverneme­nt du Québec de discuter de cette frontière», écrit l’auteur de la note d’informatio­n obtenue par Le Devoir. D’ailleurs, celle-ci a été caviardée en vertu de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’informatio­n stipulant qu’un «organisme public peut refuser de communique­r un renseignem­ent lorsque sa divulgatio­n porterait vraisembla­blement préjudice à la conduite de relations entre le gouverneme­nt du Québec et un autre gouverneme­nt ».

Il y aurait néanmoins de l’espoir si l’on se fie au document. « Les obstacles constituti­onnels peuvent être contournés de façon créative quand les acteurs politiques concernés parviennen­t à un accord.»

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