Sur la route › Quel transport collectif pour la Ville de Québec? Les consultations publiques commencent.
Tramway, service rapide par bus (SRB), troisième lien, autobus? Les citoyens de Québec se questionneront cette semaine sur le moyen de transport en commun dont leur ville devrait se doter. Et décider la forme que prendra celui-ci les amènera inévitablement à revenir sur les faiblesses du réseau d’autobus actuel et la congestion des routes, selon les experts.
Devant l’échec de son projet de service rapide par bus (SRB), la Ville de Québec retourne consulter ses habitants, dans l’espoir de trouver un consensus sur un projet de transport en commun. Un dossier qui risque d’ailleurs de se retrouver au coeur de la campagne électorale qui s’amorcera cet automne.
Le maire de la capitale, Régis Labeaume, lancera quatre séances de consultation publique entre le 6 et 10 juin. Une plateforme d’échanges sera mise en ligne cet été et des mémoires pourront être déposés au comité consultatif — constitué de représentants de la Ville et de membres externes — fin août. Un rapport préliminaire est prévu pour mi-septembre, mais les travaux seront alors interrompus jusqu’aux élections municipales du 5 novembre.
Souhaitant rester prudent, M. Labeaume affirme qu’il n’entrera pas en campagne électorale avec un projet sous la main. «On ne peut pas écrire un projet sur un coin de table. Il n’est pas question de s’engager sur n’importe quoi, ce n’est pas sérieux», a-t-il soutenu en entretien avec Le Devoir.
Mais le sujet est trop important pour ne pas être abordé pendant les élections, croit le professeur de sciences politiques à l’Université Laval, Jean Mercier. « Ça ne peut pas ne pas être l’enjeu principal, affirme-t-il. Et si on n’en discute pas, ça devra justement être interprété. Pourquoi on met sous le tapis le plus gros projet d’investissement à Québec pour des années à venir?»
De leur côté, les autres candidats à la mairie de Québec comptent bien faire du transport le thème principal de leur campagne. La chef de l’opposition, Anne Guérette, a dévoilé les grandes orientations de son parti Démocratie Québec, la semaine dernière, proposant un tramway reliant Sainte-Foy et le centre-ville. « Pendant que le maire consulte et demande une carte blanche pour la prochaine campagne électorale, nous, on a pris des décisions.» Mais elle avoue qu’elle ne serait pas étonnée de voir M. Labeaume changer d’avis, l’accusant de souvent dire une chose et son contraire.
Le parti Québec 21 ne jure quant à lui que par la création d’un troisième lien routier entre Québec et Lévis. Son chef, Jean-François Gosselin, estime que le maire gaspille du temps et de l’argent en retournant consulter la population. « Ça prend un projet maintenant. Les gens votent pour élire des élus municipaux qui feront des choix pour eux.»
Aux yeux de Serge Viau, ancien directeur de la Ville de Québec et ex-membre du Comité sur la mobilité durable, le maire Labeaume s’inquiète surtout de voir ce débat prendre le dessus sur les autres sujets qu’il souhaite aborder en campagne. Il admet par contre qu’une période électorale n’est pas le meilleur moment pour décider de grandes orientations à long terme. «Quand les nouveaux élus arriveront cet automne, ce sera le moment de tout analyser et de décider. »
La congestion routière, un fléau
Le problème à Québec réside dans le fait que la congestion n’a cessé d’augmenter ces 15 dernières années, selon M. Viau.
Le cahier technique proposé au public avant les consultations — Portrait de la mobilité sur le territoire de l’agglomération de Québec — indique en effet que la majorité des déplacements sur le territoire se fait en automobile, comme conducteur (63%) ou passager (14,1%), et qu’entre 1996 et 2011, «le nombre de déplacements réalisés par les résidants de l’agglomération de Québec a augmenté de 5,8%, ce qui représente 75 491 déplacements de plus par jour».
Mais l’ancien directeur de Québec considère comme « contre-productif » le fait d’ajouter un «troisième lien», qui ne ferait qu’augmenter le nombre de véhicules et congestionnerait encore plus les artères urbaines. «Les gens ne comprennent pas qu’on ne pourra pas élargir le boulevard Laurier et les autres routes. Il sera impossible de sortir en heure de pointe.»
Jean Mercier partage cette opinion. Il constate que le «troisième lien» complique le débat et marque même un retour en arrière. Alors que les deux modes de transport en commun proposés pour répondre au problème d’embouteillage divisent déjà la société — entre ceux favorables au tramway et ceux pour le SRB —, le troisième lien routier change la donne. «On se demande s’il faut développer le transport collectif ou favoriser l’utilisation de l’automobile. C’était le débat des précédentes consultations. »
Un réseau de bus peu développé
Les failles actuelles du réseau de bus — qui influent sur le tracé envisagé pour un éventuel SRB ou tramway — risquent de susciter de longues discussions cette semaine, d’après les experts. Au coeur du débat: certains veulent éviter les grandes artères pour cibler des quartiers moins desservis, d’autres préfèrent relier des zones très achalandées au centre-ville.
C’est le cas, par exemple, avec l’aéroport Jean-Lesage. L’automne passé, une grève des taxis a remis à l’avant-plan politique le problème lié à l’absence d’un transport en commun pour se rendre de l’aéroport au centre-ville de Québec. Québec est en effet la seule capitale canadienne de plus de 500 000 habitants qui n’offre pas un tel service à ses citoyens. Mais le maire Régis Labeaume a refusé d’affecter des autobus du Réseau de transport de la Capitale (RTC) pour desservir régulièrement l’aéroport, évoquant des coûts trop élevés pour la demande réelle.
Déjà en 2011, le plan de mobilité durable de la Ville soulignait ce manque à combler: «Aucun système de transport en commun ne dessert l’aéroport international de Québec. Il s’agit d’une lacune sérieuse qu’il faut impérativement corriger. »
Et si tous les plans de transport en commun proposés ces dernières années prévoient un passage par l’aéroport, «ce n’est pas pour rien», ajoute Serge Viau. «On ne va pas se limiter au taxi pour toujours quand même.»
Les parcs industriels oubliés
Le manque de service vers les parcs industriels constitue une autre «aberration», selon lui. «Ça prend une voiture à l’heure actuelle, parce que les lignes de bus ne s’y rendent juste pas. Ces zones se sont développées en bordure d’autoroutes. »
La région de Québec possède une vingtaine de parcs industriels où plus de 60 000 personnes viennent travailler chaque jour dans l’une des 3000 entreprises qui s’y sont installées.
Mais trouver de la maind’oeuvre est devenu tout un défi pour ces dernières qui sont aux prises avec un service de transport collectif qui laisse à désirer, selon le président de la Corporation des parcs industriels de Québec (CPIQ), Pierre Dolbec.
«Les parcs industriels ferment souvent, car ils ont une problématique de main-d’oeuvre; nous, c’est une double problématique de main-d’oeuvre et de mobilité qu’on a », a-t-il souligné en marge de la conférence de presse annonçant la tenue des consultations sur le transport public, le 23 mai dernier.
Selon lui, les besoins en transport en commun pour desservir ces lieux sont criants. «On a beaucoup d’étudiants qui travaillent les fins de semaine, mais ils n’ont pas tous des automobiles pour se rendre», soutient-il.
Même s’il fait partie des membres du comité consultatif désigné par le maire Labeaume, il n’exclut pas de déposer lui-même un mémoire à la fin de l’été. Ce que d’autres membres du comité pourraient également faire.