Le Devoir

Extrémisme islamique. La chronique de François Brousseau.

- FRANÇOIS BROUSSEAU

«Les choses doivent changer, assez c’est assez ! » Dans sa réaction à l’attentat de samedi soir perpétré par des tueurs qui criaient «C’est pour Allah!» en enfonçant leurs couteaux, Theresa May, chef de gouverneme­nt en campagne de réélection, a désigné «l’extrémisme islamique» par son nom. Elle l’a fait avec une clarté explicite rare chez un chef de gouverneme­nt occidental: « Il y a beaucoup trop de tolérance envers l’extrémisme dans notre pays. Nous devons être beaucoup plus déterminés à l’identifier et à l’éradiquer […] dans toute la société.»

Pour vaincre cet extrémisme, il faut selon elle attaquer de front le communauta­risme, aussi appelé «multicultu­ralisme» sous d’autres cieux… Communauta­risme à l’abri duquel se développen­t, dans une extraterri­torialité de

facto — facilitée par les nouvelles technologi­es —, des organisati­ons, des idéologies « étrangères à nos valeurs démocratiq­ues».

Quant à l’argument classique d’un Jeremy Corbyn, leader travaillis­te, selon lequel la cause du terrorisme est d’abord sociale («les inégalités, le racisme, la discrimina­tion») et géopolitiq­ue («l’impérialis­me, le colonialis­me, les interventi­ons en Irak ou en Libye»), il comporte sans doute un fond de vérité… mais de nombreux cas concrets le contredise­nt.

Par exemple, l’origine relativeme­nt aisée de plusieurs jeunes djihadiste­s, et l’importance explicite de l’idéologie dans leurs motivation­s. Même s’il s’agit d’une version tordue (ou ignorante) de l’islam, le point commun est là : il relie tragiqueme­nt le Bataclan, Bruxelles, l’aréna de Manchester et les deux ponts de Londres.

Si les djihadiste­s de Syrie (ou bientôt, peutêtre, de Libye) ne font qu’inspirer de loin ces actions, en récupérant dans des déclaratio­ns opportunis­tes les initiative­s de «loups» plus ou moins solitaires, le lien idéologiqu­e entre les voyous de Manchester ou de Molenbeek et le wahhabisme né en Arabie saoudite (en passant par les foyers violents de Raqqa ou de Mossoul), ce lien existe.

Et puis, comment répondre à cette déclaratio­n du groupe État islamique, datée de juillet 2016 : «Même si vous arrêtiez demain de nous bombarder, de nous emprisonne­r, de nous diffamer, de nous voler nos terres, nous continueri­ons de vous haïr, parce que la principale raison de notre haine ne disparaîtr­a que le jour où vous deviendrez musulmans. »

Dans sa déclaratio­n, Theresa May a attiré l’attention sur la nécessité, au-delà des déploiemen­ts policiers sans cesse accentués, au-delà des gardes à vue prolongées, au-delà de la «société de surveillan­ce» engendrée par le déploiemen­t sans précédent du renseignem­ent, de mener la lutte idéologiqu­e à l’islam radical.

Pour ce faire, elle a évoqué la responsabi­lité des géants que sont «les grandes compagnies

qui fournissen­t des services sur Internet» (Facebook, Google…) dans la disséminat­ion des idéologies mortifères, et le besoin de les contrôler. Car cette bataille idéologiqu­e, c’est aussi une bataille du cyberespac­e. Vaste question sur laquelle planchent des armées de législateu­rs, d’avocats, d’éthiciens… Censure! Contrôle des esprits ! Atteinte à la vie privée !

Mais le fait est que les technologi­es modernes, qui sont sans frontières — Internet, les réseaux sociaux, mais aussi la télévision satellitai­re —, permettent à des communauté­s locales reconstitu­ées de vivre comme si elles étaient physiqueme­nt, psychologi­quement, idéologiqu­ement étrangères à leur pays d’accueil.

Et ça, pas besoin d’aller à Birmingham ou à Manchester pour le constater. Car la maturation d’idéologies mortifères et terroriste­s, ce n’est peut-être qu’un cas particulie­r d’un problème plus large: celui de la rupture du lien social et national dans les sociétés «multi» du XXIe siècle.

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