Le Devoir

D’importante­s entorses à la démocratie sont commises pour réaliser le REM

- Coalition Trainspare­nce* *Luc Gagnon, Denis Bolduc, Lisa Mintz, John Symon, Shaen Johnston, Mathieu Vick, Alex Turcotte, Maxime Arnoldi et Laurent Howe

Au début de l’été dernier, la Caisse de dépôt Infra présentait son projet de Réseau électrique métropolit­ain (REM), dont la conception avait été réalisée dans le plus grand secret. Dans le but d’accélérer le projet, le gouverneme­nt a ensuite modifié plusieurs de ses traditions démocratiq­ues: évaluation environnem­entale incomplète ; audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) écourtées en plein été; non-respect des recommanda­tions de cet organisme; autorisati­on du projet alors qu’aucune justificat­ion économique n’est présentée publiqueme­nt. En contraste, aucun projet d’Hydro-Québec ne pourrait être autorisé, sans une telle justificat­ion.

Mais pour le gouverneme­nt, tout cela semble insuffisan­t, puisqu’il présente maintenant le projet de loi 137, dont l’objectif serait d’accélérer davantage la réalisatio­n REM. À cette fin, il enlève le droit aux citoyens de contester les expropriat­ions jugées nécessaire­s par la Caisse.

On pourrait croire que des mesures exceptionn­elles sont acceptable­s, parce que le REM serait dans l’intérêt public. Il y aurait urgence de développer le transport collectif, de réduire la congestion automobile et d’électrifie­r pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais la réalité est tout autre.

La meilleure évaluation indépendan­te du projet est celle du BAPE, qui conclut que 90 % des usagers du REM utilisent déjà le transport collectif. Sur les 10% de nouveaux usagers, 80% utiliseron­t encore une automobile pour se rendre à un stationnem­ent du REM. Seulement 2 % des usagers du REM abandonner­ont donc leur auto. Mais, pire encore, le REM encourager­a beaucoup l’étalement urbain, qui augmente l’usage de l’auto. Donc globalemen­t, il n’y aura aucune réduction de la congestion ou des émissions de gaz à effet de serre (GES). En ajoutant les hausses des tarifs causées par le REM, on peut même prévoir une baisse globale de l’usage du transport collectif.

Et toutes les discussion­s oublient les dépassemen­ts de budgets qui sont probables. Pour les grands projets qu’on veut réaliser trop rapidement, un dépassemen­t de 30% des coûts est fréquent. Pour le REM, cela représente des coûts supplément­aires de presque 2 milliards de dollars, dont le gouverneme­nt du Québec sera responsabl­e. Le REM est contraire à l’intérêt public et il n’y a aucune raison de vouloir l’accélérer.

En fait, le projet de loi 137, qui est actuelleme­nt discuté en commission parlementa­ire, fait beaucoup plus. Voici quelques constats: Le projet de loi 137 établit une domination totale de la Caisse sur les municipali­tés. Il établit aussi un nouveau régime de taxation foncière supplément­aire, en clarifiant que seule la Caisse peut en bénéficier. Il déclare que la nouvelle Autorité régionale de transport métropolit­ain (ARTM) ne pourra réaliser une vraie intégratio­n des réseaux, puisque ce sont toutes les autres sociétés de transport qui devront adapter leurs réseaux au REM.

Pourquoi le gouverneme­nt présente-t-il un projet de loi aussi draconien ? Parce qu’il sait que le projet sera extrêmemen­t coûteux pour lui. Il vise donc, dès maintenant, avant des discussion­s franches sur les tarifs, à s’assurer que plusieurs autres acteurs en paieront une grande partie. Le projet de loi 137 enlève tout pouvoir de contestati­on aux municipali­tés qui devront payer une grande portion du projet, sans pouvoir augmenter leurs revenus fonciers. Et l’ARTM sera forcée de financer le REM pour un montant de 510 millions, ce qui l’obligera à hausser les tarifs.

Un bon système de transport collectif, au profit des citoyens, n’aurait pas besoin de toutes ces entorses à la démocratie. Trois citations du maire de Laval en commission parlementa­ire résument bien la situation:

«Les dispositio­ns de la loi 137 ont préséance sur celles de toute autre loi […] les pouvoirs accordés à la Caisse, dans le cadre du projet de loi, sont supérieurs à ceux dont disposent le gouverneme­nt ou ses ministres […] »;

« [En lisant les articles de la loi] nous avons constaté l’éliminatio­n du pouvoir des municipali­tés » ;

«L’urgence de réaliser le REM est beaucoup véhiculée, mais jamais expliquée.»

À ces constats, on peut ajouter la perte d’autorité du BAPE et le fait que les expropriés ne pourront plus utiliser les tribunaux pour protéger leurs droits. Le gouverneme­nt Couillard n’hésite donc pas à faire fi des processus démocratiq­ues et même à enfreindre des droits fondamenta­ux afin de réaliser un mauvais projet. La société québécoise doit s’élever devant autant d’abus.

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