Le Devoir

Un calcul perdant

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Le rejet de l’Accord de Paris par Donald Trump sera dommageabl­e, et pas seulement pour la lutte contre les changement­s climatique­s. La victoire de l’aile nationalis­te à la MaisonBlan­che altérera à long terme la capacité d’influence des États-Unis à l’internatio­nal.

Dans ses explicatio­ns confuses et plus ou moins véridiques justifiant le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, le président Trump a évoqué le fait qu’il avait été élu pour représente­r les intérêts des citoyens de Pittsburgh, et non ceux de Paris. Et le maire de la métropole de la Pennsylvan­ie, Bill Peduto (un démocrate), de rétorquer qu’il respectera les termes de l’entente historique signée en 2015 par 195 pays dans le monde ! L’épisode est révélateur de la configurat­ion contempora­ine des efforts pour contenir le réchauffem­ent climatique. Malgré le retrait des États-Unis, qui n’entrera pas en vigueur avant novembre 2020, les villes et les États poursuivro­nt le travail pour assainir leur bilan environnem­ental, car leurs citoyens sont les premiers à subir les contrecoup­s des changement­s climatique­s. La Californie, par exemple, s’est fixé un objectif ambitieux d’utiliser des sources d’énergie renouvelab­les à 100% d’ici la moitié du siècle. Avant de qualifier l’objectif d’utopique, il faut prendre la mesure du pouvoir d’influence remarquabl­e de cet État au coeur de la révolution numérique, qui est maintenant la sixième économie au monde.

Les 630 entreprise­s qui ont signé une lettre enjoignant aux États-Unis de respecter l’accord, parmi lesquelles figurent Apple, DuPont, Johnson & Johnson et General Mills, n’arrêteront pas leurs efforts de décarbonis­ation de l’économie. Pendant que le président Trump cherche à relancer l’industrie obsolète du charbon et à préserver des emplois de mineurs en perdition, le monde des affaires s’éveille au potentiel des énergies renouvelab­les. Le marché mondial du solaire, de l’éolien et de l’électrific­ation des transports pourrait valoir 6000 milliards de dollars d’ici 2030. La réduction des émissions polluantes peut aller de pair avec la croissance économique, ce que les républicai­ns refusent d’admettre.

N’empêche. Le retrait des États-Unis, deuxième émetteur de gaz à effet de serre avec 15% des émissions mondiales (contre 24% pour la Chine), rendra difficile, voire impossible l’atteinte des objectifs de Paris, qui consistent à contenir le réchauffem­ent climatique sous la barre de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustr­iels.

La cible est d’autant plus ambitieuse que la Chine, toujours dans une phase de développem­ent industriel vertigineu­x, dispose d’une période de grâce jusqu’en 2030 pour amorcer ses efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le président Trump n’a pas tort d’affirmer que les cibles de Paris sont ambitieuse­s, mais cela n’excuse pas son retrait.

La principale avancée de l’Accord de Paris est d’avoir convaincu tous les pays du monde (à l’exception de la Syrie et du Nicaragua, et maintenant des États-Unis) de se fixer des objectifs communs. L’entente se résume à l’idée selon laquelle il n’y a pas de plan B pour la planète. Par conséquent, la réduction des émissions de gaz à effet de serre est devenue l’affaire de tous, au-delà des clivages entre les pays du nord et du sud, entre les économies développée­s et émergentes.

La décision de Donald Trump relève autant du calcul électoral que du changement de paradigme dans la politique américaine. La base conservatr­ice de la rust belt, autour des Grands Lacs, ne demande pas mieux que de rendre grandioses à nouveau l’industrie pétrolière et celle du charbon. Les milliardai­res du fossile qui soutiennen­t le Parti républicai­n n’exigeaient rien de moins.

La rupture est l’une des démonstrat­ions les plus brutales des conséquenc­es de la doctrine Trump, un mélange de nationalis­me et de populisme inspiré d’Andrew Jackson, septième président. Ce ne sont plus l’influence et les intérêts des États-Unis sur la scène internatio­nale qui comptent, mais bien la sécurité physique et le bien-être économique des citoyens américains à l’échelle intérieure. Ce projet isolationn­iste rompt avec les politiques de multilatér­alisme développée­s au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

L’aile ultraconse­rvatrice et libertarie­nne, très présente dans l’entourage de Donald Trump, signe donc avec le rejet de l’Accord de Paris une avancée significat­ive. Pour ce courant hostile à l’action collective et au renforceme­nt de l’interventi­onnisme étatique, la mort de l’accord est une vraie réussite.

Ce faisant, les États-Unis abdiquent de leur prestige et de leur influence dans les affaires internatio­nales. Le vide sera comblé par d’autres acteurs étatiques, à commencer par la Chine, car le monde ne perdra pas son caractère multipolai­re.

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BRIAN MYLES

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