Le Devoir

L’obtention d’un DES ne changera rien aux difficulté­s des Inuits au collégial

- NICOLAS BERTRAND Professeur de philosophi­e au Collège Montmorenc­y et auteur du livre

On ne se rend pas suffisamme­nt compte, dans le sud du Québec, à quel point le parcours scolaire des élèves inuits du Nunavik est unique et, souvent, semé d’embûches

OUne école à la dérive. Essai sur le système d’éducation au Nunavik n apprenait récemment, grâce au Devoir, que depuis juin 2015, les élèves inuits qui font leurs études secondaire­s au Nunavik n’obtiennent pas un diplôme d’études secondaire­s (DES), mais plutôt une attestatio­n d’études secondaire­s. Cette situation s’explique par le fait que la commission scolaire Kativik a tardé à rendre son programme de mathématiq­ues et de science conforme aux exigences du ministère de l’Éducation. Une fois que la nouvelle version du programme, déjà soumise au gouverneme­nt, sera approuvée, tout devrait revenir «à la normale ». Par malheur, la norme au Nunavik, c’est un DES qui cautionne des standards éducatifs bien en deçà de la moyenne québécoise.

Cette triste réalité est reconnue par les grandes organisati­ons inuites, qui sont toutes soucieuses d’améliorer l’éducation au Nunavik et ailleurs dans l’Arctique canadien. Les élèves inuits qui entreprenn­ent des études collégiale­s à Montréal (en anglais ou en français) sont aussi bien conscients de la grande distance qui les sépare, en matière de connaissan­ces et de méthodes de travail, des exigences requises pour réussir des études collégiale­s. La très grande majorité, du reste, ne les finira pas.

Les raisons de cet échec du système éducatif au Nunavik sont nombreuses, complexes et difficiles à éradiquer. L’enseigneme­nt dans une langue étrangère, la méfiance, voire la résistance de nombreux parents et élèves face à cette école dont ils remettent en question le bien-fondé, le traumatism­e des pensionnat­s, la crise identitair­e vécue par de nombreux Inuits, le manque d’adaptation des programmes à la culture locale, le haut taux de roulement des enseignant­s et des directions venus du Sud, leur ignorance de la culture et de la langue inuites, l’isolement géographiq­ue du Nunavik et les graves problèmes sociaux qui affectent les communauté­s sont tous des facteurs à considérer — parmi d’autres. Mais surtout, il y a cet absentéism­e des élèves, parfois effarant, qui les empêche de cheminer dans leurs apprentiss­ages. On ne peut espérer obtenir un diplôme équivalent (ou même s’en approcher) quand on fréquente l’école de manière aussi sporadique.

Je ne blâme pas les jeunes Inuits pour leur amour de l’école buissonniè­re, dont l’attrait séduit tant d’adolescent­s dans le monde. Ils ne réalisent pas alors à quel point leur manque d’assiduité aura des conséquenc­es néfastes plus tard dans leur parcours scolaire. Ainsi, sans une réelle pression sociale de la part des parents et des communauté­s, les jeunes continuero­nt de délaisser l’école, en particulie­r au secondaire. Malgré ce qu’il leur en coûte, il faut aujourd’hui que les Inuits reconnaiss­ent, à titre collectif, que l’éducation à l’occidental­e, en dépit de ses nombreux travers, a une valeur et une pertinence pour l’avenir de leur société.

Par ailleurs, la culture inuite doit trouver dans le système scolaire un terrain favorable à son épanouisse­ment. Cela passe, notamment, par une extension de l’enseigneme­nt de l’inuktitut, qui devrait devenir une langue d’enseigneme­nt à part entière de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire. En effet, selon l’Instance permanente de l’ONU sur les questions autochtone­s, l’enseigneme­nt dans sa langue maternelle est considéré comme le facteur le plus important de la réussite des élèves bilingues. À la commission scolaire Kativik, il y a une volonté d’aller dans cette direction, en intégrant davantage la langue, la culture et l’identité inuites au primaire et au premier cycle du secondaire. Le gouverneme­nt québécois doit collaborer à la mise en oeuvre d’un tel programme, en tâchant de trouver le difficile équilibre entre cette préoccupat­ion légitime des Inuits et la nécessité de préparer les élèves à des études supérieure­s.

À moyen terme, une plus grande autonomie politique des Inuits est aussi à souhaiter, laquelle devrait se traduire, d’abord et avant tout, par des pouvoirs élargis en matière d’éducation. On peut espérer, en effet, que l’élaboratio­n d’un système éducatif qui réponde davantage aux aspiration­s des Inuits aura des répercussi­ons bénéfiques sur la scolarisat­ion des élèves. […] On ne se rend pas suffisamme­nt compte, dans le sud du Québec, à quel point le parcours scolaire des élèves inuits du Nunavik est unique et, souvent, semé d’embûches. De la maternelle à la deuxième année du primaire, l’enseigneme­nt se fait exclusivem­ent en inuktitut, l’apprentiss­age du français (ou de l’anglais, selon ce que choisissen­t les parents) ne débutant, à demi temps, qu’en troisième année. Par la suite, c’est dans une langue seconde, si c’est l’anglais, ou dans une troisième langue, le français, que les élèves sont scolarisés jusqu’à la fin du secondaire. Le système comprenant une septième année au primaire, c’est donc dire que l’apprentiss­age du français s’échelonne sur plus de neuf ans. À la fin de leurs études secondaire­s, les élèves doivent réussir un test afin de déterminer s’ils sont en mesure d’aller directemen­t au cégep. La plupart le ratent et, par conséquent, doivent suivre une année préparatoi­re avant de quitter le Nunavik. Or, une fois admis au collégial, ils doivent passer par une autre année transitoir­e, afin de rehausser leur niveau scolaire et leur maîtrise du français. Une année qui, la plupart du temps, s’étire sur une plus longue période ou n’est jamais menée à terme.

Il est grand temps que cette situation cesse.

 ?? CAROLINE MONTPETIT LE DEVOIR ?? La culture inuite doit trouver dans le système scolaire un terrain favorable à son épanouisse­ment.
CAROLINE MONTPETIT LE DEVOIR La culture inuite doit trouver dans le système scolaire un terrain favorable à son épanouisse­ment.

Newspapers in French

Newspapers from Canada