L’obtention d’un DES ne changera rien aux difficultés des Inuits au collégial
On ne se rend pas suffisamment compte, dans le sud du Québec, à quel point le parcours scolaire des élèves inuits du Nunavik est unique et, souvent, semé d’embûches
OUne école à la dérive. Essai sur le système d’éducation au Nunavik n apprenait récemment, grâce au Devoir, que depuis juin 2015, les élèves inuits qui font leurs études secondaires au Nunavik n’obtiennent pas un diplôme d’études secondaires (DES), mais plutôt une attestation d’études secondaires. Cette situation s’explique par le fait que la commission scolaire Kativik a tardé à rendre son programme de mathématiques et de science conforme aux exigences du ministère de l’Éducation. Une fois que la nouvelle version du programme, déjà soumise au gouvernement, sera approuvée, tout devrait revenir «à la normale ». Par malheur, la norme au Nunavik, c’est un DES qui cautionne des standards éducatifs bien en deçà de la moyenne québécoise.
Cette triste réalité est reconnue par les grandes organisations inuites, qui sont toutes soucieuses d’améliorer l’éducation au Nunavik et ailleurs dans l’Arctique canadien. Les élèves inuits qui entreprennent des études collégiales à Montréal (en anglais ou en français) sont aussi bien conscients de la grande distance qui les sépare, en matière de connaissances et de méthodes de travail, des exigences requises pour réussir des études collégiales. La très grande majorité, du reste, ne les finira pas.
Les raisons de cet échec du système éducatif au Nunavik sont nombreuses, complexes et difficiles à éradiquer. L’enseignement dans une langue étrangère, la méfiance, voire la résistance de nombreux parents et élèves face à cette école dont ils remettent en question le bien-fondé, le traumatisme des pensionnats, la crise identitaire vécue par de nombreux Inuits, le manque d’adaptation des programmes à la culture locale, le haut taux de roulement des enseignants et des directions venus du Sud, leur ignorance de la culture et de la langue inuites, l’isolement géographique du Nunavik et les graves problèmes sociaux qui affectent les communautés sont tous des facteurs à considérer — parmi d’autres. Mais surtout, il y a cet absentéisme des élèves, parfois effarant, qui les empêche de cheminer dans leurs apprentissages. On ne peut espérer obtenir un diplôme équivalent (ou même s’en approcher) quand on fréquente l’école de manière aussi sporadique.
Je ne blâme pas les jeunes Inuits pour leur amour de l’école buissonnière, dont l’attrait séduit tant d’adolescents dans le monde. Ils ne réalisent pas alors à quel point leur manque d’assiduité aura des conséquences néfastes plus tard dans leur parcours scolaire. Ainsi, sans une réelle pression sociale de la part des parents et des communautés, les jeunes continueront de délaisser l’école, en particulier au secondaire. Malgré ce qu’il leur en coûte, il faut aujourd’hui que les Inuits reconnaissent, à titre collectif, que l’éducation à l’occidentale, en dépit de ses nombreux travers, a une valeur et une pertinence pour l’avenir de leur société.
Par ailleurs, la culture inuite doit trouver dans le système scolaire un terrain favorable à son épanouissement. Cela passe, notamment, par une extension de l’enseignement de l’inuktitut, qui devrait devenir une langue d’enseignement à part entière de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire. En effet, selon l’Instance permanente de l’ONU sur les questions autochtones, l’enseignement dans sa langue maternelle est considéré comme le facteur le plus important de la réussite des élèves bilingues. À la commission scolaire Kativik, il y a une volonté d’aller dans cette direction, en intégrant davantage la langue, la culture et l’identité inuites au primaire et au premier cycle du secondaire. Le gouvernement québécois doit collaborer à la mise en oeuvre d’un tel programme, en tâchant de trouver le difficile équilibre entre cette préoccupation légitime des Inuits et la nécessité de préparer les élèves à des études supérieures.
À moyen terme, une plus grande autonomie politique des Inuits est aussi à souhaiter, laquelle devrait se traduire, d’abord et avant tout, par des pouvoirs élargis en matière d’éducation. On peut espérer, en effet, que l’élaboration d’un système éducatif qui réponde davantage aux aspirations des Inuits aura des répercussions bénéfiques sur la scolarisation des élèves. […] On ne se rend pas suffisamment compte, dans le sud du Québec, à quel point le parcours scolaire des élèves inuits du Nunavik est unique et, souvent, semé d’embûches. De la maternelle à la deuxième année du primaire, l’enseignement se fait exclusivement en inuktitut, l’apprentissage du français (ou de l’anglais, selon ce que choisissent les parents) ne débutant, à demi temps, qu’en troisième année. Par la suite, c’est dans une langue seconde, si c’est l’anglais, ou dans une troisième langue, le français, que les élèves sont scolarisés jusqu’à la fin du secondaire. Le système comprenant une septième année au primaire, c’est donc dire que l’apprentissage du français s’échelonne sur plus de neuf ans. À la fin de leurs études secondaires, les élèves doivent réussir un test afin de déterminer s’ils sont en mesure d’aller directement au cégep. La plupart le ratent et, par conséquent, doivent suivre une année préparatoire avant de quitter le Nunavik. Or, une fois admis au collégial, ils doivent passer par une autre année transitoire, afin de rehausser leur niveau scolaire et leur maîtrise du français. Une année qui, la plupart du temps, s’étire sur une plus longue période ou n’est jamais menée à terme.
Il est grand temps que cette situation cesse.