Le Devoir

Lary Kidd vide son sac

L’artiste montréalai­s porte un regard sombre sur une vision rappée du monde avec son dernier disque, Contrôle

- PHILIPPE RENAUD

«J’écoute énormément de gangsta rap, j’aime ça », dit le rappeur Lary Kidd, rencontré à la terrasse d’un café pour discuter de son nouvel album solo, Contrôle, paru vendredi dernier. «Mais en tant qu’humain sensé, dois-je déplorer ce que j’écoute? Parce que [ce qu’ils rappent] n’a pas d’allure. Les textes sont bien tournés, mais ils sont tellement durs! Moi qui aime le gangsta rap, est-ce que j’en fais aussi, est-ce que j’essaie de me faire croire que j’évolue dans cet univers-là? Qui suis-je dans cette musique?»

Au détour d’une strophe sur l’album Contrôle, le membre du trio Loud X Lary X Ajust (LLA) cite volontiers l’oeuvre du philosophe du pessimisme Cioran (sur Décomposit­ion, par exemple, référence au Précis publié en 1949). Il aurait pu tout autant citer Descartes, car, comme il le dit lui-même, «ce qui transparaî­t le plus des textes de mon album, c’est le doute, mon questionne­ment par rapport au rap violent, ma confusion » relative à son appréciati­on sincère de ces rappeurs américains décrivant leur dangereuse réalité avec des images laissant peu de place à l’interpréta­tion.

Lary Kidd non plus ne fait pas dans la dentelle. Le groupe LLA a toujours eu cette énergie brute, cette posture frondeuse qui donnait du poids à ses rimes: «On était plus sérieux — plus lourds en tout cas — dans nos textes qu’Alaclair Ensemble, par exemple, c’est ce qui nous différenci­ait. Après, les deux groupes faisaient la musique avec la même rigueur. » Parti en solo, Lary va jusqu’au bout de cette démarche, réfléchiss­ant à propos du genre de rap qu’il affectionn­e et son rapport avec cet univers particuliè­rement glauque qu’il ne revendique qu’en tant qu’auditeur, lui «jeune Blanc de la classe moyenne » d’Ahuntsic et non des quartiers chauds de Los Angeles, pour faire image.

À couper le souffle

On a vraiment du mal à retrouver son souffle après avoir écouté les treize denses chansons de ce nouveau projet solo — en 2009, avant que n’explose LLA sur la scène undergroun­d locale, il avait lancé La déchéance de Lary Kidd. Si le trap lourd de LLA possédait d’indéniable­s qualités festives tout en gonflant ses biceps («un défoulemen­t plus près de l’énergie punk que d’une musique pour danser», illustre-til), le rappeur n’a pas l’esprit à la fête sur ce disque cynique, torturé, parfois graphique — notamment sur la chanson Ultra-Violence, « une grosse chanson qui se plaint d’autant de violence, dans la musique comme à la télé, aux infos. On vit dans une culture de la violence: “Tant que le sang coule/On reste fasciné, Boy”, que je répète à la fin de la chanson sur un ton cynique et fâché. Elle m’a fait du bien à enregistre­r, celle-là. »

Vous voyez le genre, ce n’est pas un disque à écouter pour se remonter le moral. Un disque étrangemen­t fascinant, rappé avec émotion, mais un disque monolithiq­ue, soudé par le solide travail du compositeu­r-producteur Kable Beatz, qui dévie occasionne­llement de sa trame musicale et narrative rigide grâce au beatmaker Toastdawg, qui signe trois musiques plus éclatées sur l’album.

«J’apprécie beaucoup que l’on m’ait donné la chance de faire un disque comme ça, commente le Montréalai­s. À vrai dire, je ne crois pas que quiconque ait vraiment envie de faire un disque pareil — à moins de ressentir aussi le besoin » de vider les squelettes dans son placard, les cafards dans la cervelle et autres idées noires de la vie quotidienn­e. «C’est ce que j’ai fait», au moment opportun ou LLA faisait une pause, «pour nous consacrer à nos projets solo; le groupe n’est pas mort», insiste Lary Kidd.

Sur Contrôle se heurtent les soucis de la vie personnell­e de l’artiste et le genre de message «véhiculé dans le rap aujourd’hui, par exemple l’image qu’on y projette des femmes, l’obsession des armes à feu, les tueries à répétition aux ÉtatsUnis » ou ailleurs.

« Mes problèmes personnels et ceux de la société me pèsent plus aujourd’hui, enchaîne Lary Kidd, peut-être parce que je suis plus conscient [du monde qui m’entoure], peut-être parce que je vieillis, ou bien parce que j’étais plus sensible à tout ça à cause de ce que je vivais à ce moment-là dans ma vie. Tout ça transparaî­t sur l’album.» C’est une critique autant qu’un aveu de faiblesse : « Sur mon album, je suis positionné en victime de ce que déplore. J’emploie un ton toujours un peu plaignard, [je rappe comme un gars frustré]. Car au fond, je me considère beaucoup un produit de tout ça, la violence, le rôle des femmes dans le rap, la manière qu’on a de les considérer comme des objets, la glorificat­ion de l’accompliss­ement matériel rappée par un jeune qui n’en est qu’au début de sa vie d’adulte… J’ai tout garroché ça dans Contrôle».

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Sur Contrôle se heurtent les soucis de la vie personnell­e de Lary Kidd et le genre de message «véhiculé dans le rap aujourd’hui, par exemple l’image qu’on y projette des femmes, l’obsession des armes à feu, les tueries à répétition aux États-Unis» ou...

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