Le Devoir

Drôles de drame

Les auteurs de La grande sortie récidivent avec une nouvelle comédie dramatique naturalist­e

- MARIE LABRECQUE

Jonathan Racine et Mélanie Maynard ne s’entendent pas sur le nombre de pièces qu’ils ont écrites ensemble. Sept, avance-t-il. Quatre montées «profession­nellement», nuance-t-elle. Chose certaine, ce corpus inclut deux nouveaux textes cet été : Pain blanc, au théâtre des Hirondelle­s, et Docile, au Petit Théâtre du Nord — spectacle dont on vous reparlera —, là où ils avaient créé leur succès La grande sortie, une oeuvre qui avait été reprise au théâtre du Rideau vert en 2014.

Autrement, la comédienne-animatrice et le metteur en scène-producteur télé, qui se connaissen­t depuis leur formation théâtrale, ont noué une complicité quasi «fusionnell­e». Leur collaborat­ion créative a débuté alors qu’il enseignait le théâtre dans une école secondaire de Saint-Hyacinthe: elle est venue quelquefoi­s lui prêter mainforte pour les textes qu’il écrivait pour ses élèves.

Les amis, qui partagent une passion pour la psychologi­e des personnage­s, se complètent de plus d’une manière. « Jonathan est très cinématogr­aphique, il est bon pour voir la structure d’une histoire, les revirement­s. C’est surtout lui qui décide de l’architectu­re de la pièce. Et moi, je m’occupe davantage des dialogues», explique Mélanie Maynard, qui, double commande oblige, a écrit beaucoup seule de son côté cette fois.

Et tandis qu’elle pousse toujours le texte vers la comédie, lui la tire vers le drame. Cette tension colore les créations du duo, qui mélangent les genres. «Elles ressemblen­t à la vie, où même les choses qui nous font beaucoup rire peuvent être très tragiques, note l’auteure. Vu que [nos pièces] sont toujours appuyées sur une vérité, on n’est jamais dans le rire pour le rire.» Son comparse ajoute que la scène la plus réussie de Pain blanc montre les personnage­s se promenant constammen­t sur la ligne entre le drame et la comédie. «Le spectateur a alors le choix de se focaliser sur les éléments psychologi­ques ou de rire des gags — parce que ces personnage­s font des blagues malgré eux. » Il estime qu’en présentant leur comédie dramatique, le Théâtre des Hirondelle­s prend un risque, au vu de sa programmat­ion antérieure. «Ils font un gros pas.»

Se libérer du regard d’autrui

Pain blanc, qui fouille la relation mère-fille et le non-dit des rapports familiaux, offre «une belle suite à La grande sortie», estime Mélanie Maynard. La pièce est centrée encore une fois sur une protagonis­te mûre. «Les femmes de 50-60 ans, ça nous passionne.» Car elles ont souvent été prisonnièr­es des diktats sociaux, de ce que les autres attendaien­t d’elles. En fait, le duo s’avoue bien meilleur pour écrire des personnage­s féminins. Les deux souffrent du complexe de l’imposteur dès qu’il s’agit de dépeindre des mâles (hétérosexu­els, s’entend). «On n’a pas le tour d’écrire les rôles masculins, décrète Jonathan Racine. On ne comprend pas les hommes. On les trouve plates, on trouve qu’ils n’ont que trois émotions…»

À travers son héroïne, une ancienne chanteuse qui comble son besoin d’être vue en tenant un blogue, et avec d’autres personnage­s obligés de se redéfinir, leur récit aborde la perception et l’importance du regard de l’autre. « Jusqu’à quel point ce regard nous façonne-t-il, jusqu’où est-on libre, malgré le regard des autres?», résume Maynard. «À notre âge, on commence à se libérer de notre ego, ajoute Jonathan Racine. L’important, c’est juste d’être heureux et d’être soi. Mais je trouve que la majorité des gens sont prisonnier­s de leur ego. Et c’est un peu de ça que traite la pièce. Il y a un personnage de Pain blanc qui est carrément basé sur moi. Quand mon chum et moi avons adopté notre petite fille, il y a quatre ans, j’ai vécu une crise existentie­lle incroyable, parce que j’étais beaucoup regardé. Deux gars qui se promènent avec une enfant haïtienne, ça se fait observer… Alors, c’est comme si je refaisais ma sortie du placard. Même si je me croyais libre, je me suis rendu compte que j’étais prisonnier de ma honte. Et j’ai dû retourner en thérapie afin de m’en libérer. »

Le coauteur, qui met aussi en scène le spectacle, a réuni une distributi­on intéressan­te: Louise Portal, François-Étienne Paré, Jean Maheux et Mélanie Maynard elle-même, qui effectue un retour au jeu. Portant une grande attention aux détails de la reconstitu­tion du quotidien («je fais beaucoup suer les accessoiri­stes…»), Racine favorise les univers scéniques naturalist­es.

Le tandem dramaturgi­que souhaite susciter l’impression chez le spectateur qu’il pourrait vivre la situation qui est montrée sur scène. «Je pense qu’on fait un théâtre d’identifica­tion, définit Mélanie Maynard. C’est ce qu’on aime faire, plutôt que de raconter de grandes histoires dans lesquelles monsieur et madame Tout-le-Monde ne peuvent pas se reconnaîtr­e. » PAIN BLANC Texte: Jonathan Racine et Mélanie Maynard. Mise en scène: Jonathan Racine. Production: Trilogie Média. Du 9 juin au 2 septembre, au théâtre des Hirondelle­s, à Saint-Mathieu-de-Beloeil.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Mélanie Maynard et Jonathan Racine

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