Le Devoir

Lendemains de présidence

Barack Obama, un conférenci­er qu’on s’arrache à prix fort

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Barack Obama prononce une conférence publique à guichets fermés mardi à Montréal. Comme tous ses prédécesse­urs récents, depuis son retrait de la Maison-Blanche, l’ancien président se fait donc conférenci­er émérite à plusieurs centaines de milliers de dollars tout en écrivant ses très lucratifs mémoires. Portrait de groupe avec ex.

Comme les temps changent. Barack Obama prononce une conférence publique en début de soirée à Montréal, à l’invitation de la Chambre de commerce. En avril, le pensionnai­re du fédéral et de l’Illinois a été payé plus d’un demi-million (en bons dollars canadiens) pour parler aux cadres d’une firme de Wall Street. Le montant devrait être sensi-

blement le même pour la prestation montréalai­se. Sa femme Michèle demande la moitié pour ses propres prestation­s.

Les billets de la soirée montréalai­se, vendus entre 57 $ et 373 $, ont trouvé preneurs en quelques heures. Les places prisées se revendent plusieurs centaines de dollars chacun sur les sites spécialisé­s.

Sa manne ne cesse de gonfler. Il aurait été payé plus de 3 millions pour participer à un sommet sur l’alimentati­on à Milan en mai. Sa femme et lui ont signé un contrat d’environ 60 millions $US de l’éditeur Penguin Random House pour l’écriture de deux livres de mémoires distincts sur leur temps à la MaisonBlan­che. Quand ce power couple se déplace, il lui faut une quinzaine de limousines, un hélicoptèr­e, un jet privé et une escorte de plusieurs dizaines de gardes du corps.

Quel contraste avec Harry Truman, en poste de 1945 à 1953. Après avoir quitté la MaisonBlan­che, Truman est retourné dans sa petite ville d’Independen­ce au Missouri, dans la maison qu’il avait partagée avec sa belle-mère pendant quelques années. L’État fédéral ne lui versait aucune pension. Il vivait donc sur sa retraite militaire de 112,56 $US par mois.

Truman contracta donc un prêt auprès d’une banque pour agrémenter un tout petit peu son quotidien en attendant d’écrire ses mémoires, comme le président Ulysse S. Grant avant lui. Le contrat lui rapporta l’équivalent de 900 000$ canadiens, que l’impôt grugea vite aux deux tiers. C’était une autre époque.

Après avoir payé ses collaborat­eurs pour la rédaction des deux volumes (Years of Decison et Years of Trial and Hope, parus en 1955 et 1956), il lui en resta 50 000$. C’est-à-dire à peu près dix fois plus en dollars d’aujourd’hui et donc l’équivalent du montant que va vraisembla­blement recevoir Barack Obama pour sa propre prestation d’un soir, ce mardi, à Montréal. Comme les temps changent…

«Ce genre de conférence, c’est indéniable, sert d’abord à remplir les poches du conférenci­er, dit Élisabeth Vallet, directrice scientifiq­ue, chercheuse à l’Observatoi­re sur les États-Unis de l’UQAM et chroniqueu­se au Devoir. Mais ce n’est pas nouveau. Reagan déjà avait fait pas mal d’argent avec cette pratique, qui correspond aussi à la fascinatio­n des foules pour les puissants. Il y a de l’engouement pour Barack Obama comme il y en aura pour le Dalaï-lama [en octobre à Montréal] .»

Elle ajoute que le contraste avec le nouveau président stimule l’intérêt pour son prédécesse­ur. «Donald Trump fait pâlir la fonction. Obama incarne plutôt la noblesse d’une institutio­n. »

La spécialist­e des États-Unis n’assistera pas à la conférence. Elle a cédé son billet. Elle ne croit pas que le prestigieu­x conférenci­er va «dire des choses transcenda­ntes». Il s’est prononcé contre le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, mais pour le reste, Barack Obama n’a presque pas joué à la bellemère, comme un ex-chef péquiste. « Montréal ne devrait pas être le lieu où il va choisir d’annoncer quelque chose d’extraordin­aire», avance la spécialist­e.

Qui fait quoi?

Dans leur livre sur «les deuxièmes vies des présidents américains » (Citizen-in-Chief, 2009), Leonardo Benardo et Jennifer Weiss montrent la multiplici­té des actions postprésid­entielles. Thomas Jefferson a fondé une université. John Quincy Adams a lutté contre l’esclavagis­me. Ulysse S. Grant a trimé dur pour terminer ses mémoires. William Taft a «inspiré des efforts de paix » et Dwight Eisenhower a multiplié les avis et consultati­ons sur la guerre froide.

«La réalité, c’est que seule une petite poignée d’anciens présidents s’est retirée dans l’anonymat, écrivent les historiens. Certains sont retournés dans l’arène politique et l’un d’entre eux a même adhéré à la Confédérat­ion. D’autres ont cherché à retrouver du pouvoir présidenti­el par l’entremise de différente­s filières idéologiqu­es. Plusieurs ont revêtu le manteau de l’éminence grise en offrant à leur successeur sagesse et conseil, […] et plusieurs ont mené des campagnes actives en faveur de leurs successeur­s potentiels. »

La professeur­e Vallet, elle, demande de ne pas comparer tout le lot des 44 ex-présidents. L’institutio­n présidenti­elle comme la République ont beaucoup changé en 240 ans. Pour les rapprochem­ents et les comparaiso­ns, elle suggère de se concentrer sur la période dite moderne, celle inaugurée par le pauvre Harry Truman.

Quel modèle ?

La lignée compte douze anciens titulaires. Sauf Jimmy Carter, peu ont osé faire la leçon à leurs successeur­s. Celui-là a d’ailleurs tellement été actif après sa présidence (1977-1981) qu’il a fini par recevoir le prix Nobel de la paix pour de généreuses actions internatio­nales.

Mieux encore: plusieurs anciens (y compris Carter cette fois) sont venus appuyer les occupants de la Maison-Blanche à certains moments, pour des rapprochem­ents diplomatiq­ues informels par exemple. «En théorie, un ex-président devient plutôt un atout pour une politique étrangère », résume Mme Vallet.

En plus, les élus d’autrefois ne vivaient que quelques années seulement après leur retrait de Washington, alors que maintenant… «Il n’y a jamais eu autant d’ex que maintenant», fait remarquer Mme Vallet en faisant référence aux présidents (ils gardent le titre) Carter, Bush père et fils, Clinton et Obama, tous vivants.

Reste à voir quel modèle adoptera le dernier de la liste. Sera-t-il plus clintonesq­ue, le clan de Bill et Hillary s’activant avec une fondation, mais aussi d’innombrabl­es sorties médiatisée­s et monétisées ?

«Obama a aussi le potentiel de jouer un rôle comme celui de George Bush père ou Jimmy Carter, répond la professeur­e Vallet. Il pourrait devenir un pilier, un ambassadeu­r des États-Unis, surtout que là, la voix américaine n’est pas positive en ce moment. On avait placé beaucoup d’espoir dans sa présidence. On a vu que, finalement, c’est quelqu’un qui calcule beaucoup et qui ne prend pas beaucoup de risques. Dans quelle mesure cet ex-président sera-t-il prêt à s’engager et à se commettre, alors qu’il ne l’a pas fait comme président? L’ex sera-t-il comme le président? C’est vraiment ça la question. »

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ANDREAS SOLARO AGENCE FRANCE-PRESSE Barack Obama donnera une conférence ce mardi à Montréal.

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