Le Devoir

Soins à domicile: le privé appelé en renfort

Montréal et Laval lancent un appel d’offres pour 1,5 million d’heures de services

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Des centaines d’auxiliaire­s de santé et de services sociaux, de physiothér­apeutes, d’ergothérap­eutes et de travailleu­rs sociaux en provenance du privé sont recherchés pour donner des services à domicile à Montréal et à Laval. Un contrat qui pourrait s’élever à des dizaines de millions de dollars est en cours d’appel d’offres.

Les établissem­ents de santé fusionnés des deux régions ont lancé cet appel, par l’entremise de Sigma Santé, pour plus de 1,5 million d’heures de services par an. C’est l’équivalent de 839 employés à temps plein travaillan­t 35 heures par semaine.

Impossible de savoir à combien soumission­neront les prestatair­es privés intéressés. Si tous ces travailleu­rs étaient payés selon le premier échelon des convention­s collective­s au public, et qu’il n’y avait aucuns frais administra­tifs, les coûts seraient de 29 millions de dollars, a calculé Le Devoir.

Pour le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), les « services d’aide à la vie domestique», qui sont principale­ment concernés, ne sont pas des «soins à domicile», a répondu la responsabl­e des relations avec les médias Marie-Claude Lacasse. Les « prestatair­es externes » doivent assurer des services «pour certains usagers dont la situation n’est pas complexe ou instable ».

«Il ne s’agit pas d’une privatisat­ion des soins et services, a-t-elle ajouté, mais bien d’un encadremen­t des modalités des appels d’offres pour des services d’aide à la vie domestique […] [pour que ces derniers] soient de qualité et sécuritair­es. »

Les établissem­ents de santé répondent que, bien qu’ils souhaitent réduire au minimum le

recours au privé, ils en ont besoin pour couvrir des besoins ponctuels. « Si l’ensemble des horaires de travail du personnel est complet, l’établissem­ent se tournera vers un prestatair­e privé pour les demandes de services en surplus ou les remplaceme­nts d’urgence. L’appel au prestatair­e privé s’effectue donc en dernier recours», a par exemple répondu le CISSS de Laval.

Les auxiliaire­s au centre de l’appel d’offres

Selon les documents de l’appel d’offres, ces travailleu­rs du privé seraient appelés à oeuvrer pour les CLSC, les centres de jour, les centres d’hébergemen­t, les ressources intermédia­ires, les résidences privées convention­nées, les centres de réadaptati­on, les centres jeunesse et les hôpitaux des six CISSS et CIUSSS de Montréal et Laval.

Les documents sont disponible­s en ligne par l’entremise du système électroniq­ue d’appel d’offres du gouverneme­nt (SEAO).

La majorité des heures de services demandées, soit 1,4 million, concerne des auxiliaire­s de santé et de services sociaux.

Ces travailleu­rs ont pour mission d’aider les personnes dans leurs activités quotidienn­es à la maison, et de « favoriser l’intégratio­n et la socialisat­ion de l’usager ». Ils aident les usagers pour leur hygiène et la prise de médicament­s, par exemple. Ils doivent détenir un diplôme d’études profession­nelles.

Le prestatair­e de service privé s’engagerait en outre à fournir 6800 heures de physiothér­apeutes, plus de 10700 heures d’ergothérap­eutes et près de 25 000 heures de travailleu­rs sociaux.

C’est le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal qui est le plus gros demandeur dans cet appel d’offres, avec plus de 436000 heures ou l’équivalent de 239 employés à temps plein, surtout des auxiliaire­s.

Les établissem­ents se défendent de privatiser les services. Le privé est sollicité « en appoint afin de couvrir certains remplaceme­nts et ainsi assurer la continuité des services», a indiqué par courriel la responsabl­e des communicat­ions du Centre-Sud, Mélissa Léveillé. Elle a ajouté que son établissem­ent vise à « réduire au minimum un recours à une telle main-d’oeuvre ».

Du côté du Nord-de-l’Île, on est justement en campagne de «recrutemen­t intensif», au public. «Ça fonctionne bien, a indiqué le responsabl­e des communicat­ions Hugo Larouche, mais il faut parfois pallier des besoins ponctuels». L’appel d’offres par Sigma santé a été choisi pour « avoir les meilleurs tarifs possible », a-t-il ajouté.

Les syndicats inquiets

À la Fédération des travailleu­rs du Québec (FTQ), on ne se souvient pas avoir déjà vu un appel d’offres aussi important pour de la maind’oeuvre indépendan­te en soutien à domicile par des auxiliaire­s. «Nous sommes assez inquiets, a dit en entrevue son président, Daniel Boyer. On nous annonce des investisse­ments, puis on constate que l’argent va aller au privé!» Le MSSS affirme cependant que les nouveaux fonds ne sont pas concernés.

Selon lui, «on privatise encore les services de santé. C’est toujours la même histoire: que ça coûte le moins cher possible. À quel salaire vont travailler ces gens-là?»

La FTQ représente des auxiliaire­s dans le réseau, mais aussi au privé, dans les entreprise­s d’économie sociale.

Selon M. Boyer, il y a de plus en plus d’entreprise­s privées dans ce secteur. « Et si ce ne sont pas des entreprise­s québécoise­s, ça pourrait être des entreprise­s étrangères qui répondent à l’appel d’offres», a-t-il précisé.

Pour les patients, les conséquenc­es sont réelles, a-t-il expliqué, avec un taux de roulement plus élevé au privé ainsi qu’une moins grande concertati­on avec les autres inter venants.

«On est étonnés et fortement déçus», a dit Carolle Beaulieu, présidente de l’Alliance du personnel profession­nel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qui représente les ergothérap­eutes, les physiothér­apeutes et les travailleu­rs sociaux du réseau public. « Vraiment, on pensait que le ministère était rendu ailleurs et voulait réduire le recours à la maind’oeuvre indépendan­te.»

Alors qu’un autre syndicat, la FIQ, a eu gain de cause devant les tribunaux contre le recours au privé dans le domaine des soins infirmiers dans les hôpitaux, Mme Beaulieu a affirmé évaluer ses options d’un point de vue juridique.

Elle est d’autant plus déçue que le récent forum sur les soins à domicile avait amené les établissem­ents à s’engager pour améliorer les soins à domicile. «On ne s’attendait certaineme­nt pas à ce qu’on aille chercher les nouveaux services au privé!», a-t-elle dit.

Intitulé « acquisitio­n de services de main-d’oeuvre indépendan­te pour personnel non infirmier», l’appel d’offres stipule que, pour être considéré, un soumission­naire devra atteindre un certain niveau de qualité, en plus d’être le moins cher. Si un seul soumission­naire se qualifie, le processus d’adjudicati­on pourrait avorter.

L’appel d’offres devait se clore lundi, mais la date limite de réception des offres a été reportée au 12 juin.

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