Le Devoir

Exiger le minimum

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Si l’accord du lac Meech avait été ratifié, la suite de l’histoire aurait été bien différente. Il est difficile de dire ce qu’il serait advenu du PQ, mais le coup aurait été très dur à encaisser. Il n’y aurait vraisembla­blement pas eu de référendum en 1995, ni de plan B, ni de commission Gomery… Qui sait, Lucien Bouchard serait peut-être devenu premier ministre du Canada !

Réécrire l’histoire peut être un exercice amusant. Avec le passage du temps, l’imaginaire collectif a cependant prêté à l’accord des vertus qu’il n’avait sans doute pas. Le PQ, qui le trouvait parfaiteme­nt insignifia­nt au départ, a luimême contribué à en faire un mythe pour mieux dramatiser les conséquenc­es de son rejet.

Le sentiment d’avoir obtenu réparation pour le tort causé par le rapatrieme­nt unilatéral de la Constituti­on aurait mis un baume sur l’ego meurtri des Québécois, mais ils auraient probableme­nt été déçus des effets de l’accord sur la dynamique interne de la fédération, malgré le désir de réconcilia­tion qui les animait. Il n’aurait pas empêché la diminution du poids politique du Québec.

L’impact juridique de la clause de la « société distincte» n’aurait pas ajouté grand-chose à la spécificit­é dont la Cour suprême tient déjà compte dans ses décisions. La limitation du pouvoir de dépenser du gouverneme­nt aurait également été très relative, dans la mesure où les programmes cofinancés dont une province aurait pu se retirer avec compensati­on ont en fait disparu.

L’accord ne changeait strictemen­t rien à l’équilibre des pouvoirs entre le gouverneme­nt fédéral et les provinces. Pour convaincre ceux qui craignaien­t que le Québec puisse l’invoquer pour se soustraire aux dispositio­ns de la Charte des droits et brimer les droits de la minorité anglophone, les premiers ministres réunis à Ottawa pour une ultime tentative de sauvetage au début de juin 1990 y avaient annexé un avis signé par six éminents constituti­onnalistes assurant qu’il n’en était rien.

L’opinion canadienne-anglaise avait été traumatisé­e en décembre 1988, quand le gouverneme­nt Bourassa avait utilisé la dispositio­n de dérogation pour maintenir la règle de l’unilinguis­me français dans l’affichage commercial, même si la Cour suprême l’avait déclarée inconstitu­tionnelle. On a eu beau préciser que le gouverneme­nt fédéral aurait le mandat de promouvoir le bilinguism­e, rien n’a pu apaiser cette méfiance.

Dans une entrevue accordée à La Presse il y a quelques années, l’ancien alter ego de Robert Bourassa, Jean-Claude Rivest, avait expliqué que l’accord du lac Meech visait simplement à «régularise­r la situation créée en 1982». Les vraies négociatio­ns, qui auraient porté sur un nouveau partage des pouvoirs, auraient eu lieu ultérieure­ment. M. Bourassa n’a jamais précisé les modalités de la «souveraine­té culturelle» qu’il réclamait dans les années 1970, mais on peut penser que cela aurait fait partie de ce qu’il comptait réclamer.

Même s’il n’a jamais osé proposer une réouvertur­e du dossier constituti­onnel après que Jean Chrétien lui eut signifié que le « magasin fédéral» était fermé, Jean Charest s’est réclamé de ce même concept de «souveraine­té culturelle» à l’aube de la campagne fédérale de 2008, quand il a interpellé tous les partis pour qu’ils s’engagent à conclure une entente de nature administra­tive qui assurerait au Québec la maîtrise d’oeuvre en matière de culture et de communicat­ion. En 2011, Pierre Moreau, alors ministre des Affaires intergouve­rnementale­s canadienne­s dans le gouverneme­nt Charest, disait avoir entrepris des discussion­s avec le gouverneme­nt Harper, mais elles n’ont jamais abouti.

Si Robert Bourassa considérai­t l’accord du lac Meech comme un simple point de départ, qui devait ouvrir la voie à une véritable réforme du fédéralism­e, le premier ministre Couillard voit plutôt d’éventuelle­s négociatio­ns constituti­onnelles comme le point d’arrivée.

La formule d’une conférence à huis clos à l’issue de laquelle la population est placée devant un fait accompli est peut-être périmée, mais l’exemple de l’entente de Charlottet­own, qui avait été précédée d’innombrabl­es forums d’un océan à l’autre, a bien démontré que la consultati­on de la société civile ne constitue pas une garantie de succès. Malgré l’appui de tous les gouverneme­nts, elle a été rejetée aussi bien au Québec que dans le reste du Canada.

Corriger l’erreur de 1982 serait certes une bonne chose. Dans l’état d’esprit qui prévaut au Canada anglais, ce serait même un exploit. Dans le document que M. Couillard a rendu public la semaine dernière, on ne sent cependant aucune volonté d’aller au-delà de cette réparation, alors que l’affirmatio­n du Québec, qui est officielle­ment son objectif, commandera­it bien davantage. Exiger le minimum, voilà qui est inspirant !

L’accord du lac Meech n’aurait pas empêché la diminution du poids politique du Québec

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