Le Devoir

Le français rescapé de la Silicon Valley

En Californie, un organisme cherche à faire en sorte que l’apprentiss­age du français ne soit pas réservé aux enfants très riches. Le Devoir a rencontré sa fondatrice.

- ISABELLE PORTER à Saguenay

Les lycées français sont si onéreux aux États-Unis que même dans la Silicon Valley, les travailleu­rs francophon­es n’ont souvent pas les moyens d’y envoyer leurs enfants, déplore Gabrielle Durana de Éducation française Bay Area (EFBA). Depuis neuf ans, son organisme leur offre une solution de remplaceme­nt et les inscriptio­ns se multiplien­t.

«En général, ils partent aux États-Unis quand ils sont jeunes et la question de la langue se pose quand ils ont des enfants et qu’ils découvrent que les lycées français non seulement ne sont pas gratuits, mais sont fort onéreux», résume la présidente et fondatrice de EFBA lors d’une entrevue en marge de l’Université d’été sur la francophon­ie des Amériques, à Saguenay.

EFBA, un organisme à but non lucratif, offre actuelleme­nt des cours du soir à 400 élèves dans 25 écoles publiques de la région de la baie de San Francisco. Il en coûte aux parents 2000$ par an par enfant.

« Ça a l’air beaucoup, précise Mme Durana, mais c’est 14 fois moins cher que dans les lycées français.» «Le lycée français de San Francisco coûte 30 000$ par an et par enfant, et le lycée franco-américain coûte 40 000 $ par an, donc ce sont seulement les enfants de gens très riches qui peuvent y aller. »

À ceux qui pensent que les travailleu­rs de la Silicon Valley sont justement très riches, Gabrielle Durana rétorque que le «coût de la vie est extrêmemen­t cher aussi». Surtout pour les parents. Parce qu’en l’absence de garderies, les mamans, aussi scolarisée­s soient-elles, restent souvent à la maison pour prendre soin des enfants et la famille doit se contenter d’un salaire.

«Nous sommes vraiment habités par un amour de la langue française, mais aussi par un souci de justice sociale, poursuit Mme Durana. C’est injuste que des enfants ne reçoivent pas une éducation en français parce que leurs parents ne sont pas immensémen­t riches.»

Refus de s’américanis­er

Estimée entre 70 000 et 100 000 personnes, la communauté francophon­e de la Silicon Valley est considérée comme l’une des plus importante­s aux États-Unis, après celle de New York.

Les enfants fréquenten­t EFBA deux fois par semaine après l’école. «Il y a un temps de jeu en français. Au milieu, il y a une heure et demie de cours et, après, une récréation. » La fin de semaine, EFBA propose en outre des activités culturelle­s en français, dans les musées par exemple. Enfin, l’été, ils proposent des camps de jour, dont l’un a pour thème les exploratio­ns de Jacques Cartier !

«L’idée, c’est de parler à leur coeur. Quand les enfants sont petits, les parents les forcent à aller suivre des cours de français. Si on n’a pas gagné leur coeur au cours de l’immersion, on va les perdre plus tard vers 10, 12, ou 14 ans. Mais s’ils ont appris à aimer cette langue et cette culture, ils vont faire des choses en français dans leurs temps libres quand ils seront plus grands.»

En plus des Français, la communauté francophon­e de la région compte des Belges, des Suisses, mais aussi des Québécois. Les cours accueillen­t en outre beaucoup d’enfants de Canadiens anglais.

«De manière ironique, ils trouvent que le français est un bon marqueur culturel, identitair­e pour que leurs enfants ne s’américanis­ent pas complèteme­nt. Ils sont très attachés au français et ça me fait un peu sourire parce que je connais les relations un peu compliquée­s que vous avez ici», raconte-telle un sourire en coin.

L’approche d’EFBA s’inspire d’un modèle développé à New York (EFNY pour Éducation française à New York). Aujourd’hui, on trouve des écoles de ce genre dans 22 États, mais c’est EFBA qui compte le plus d’élèves.

Mme Durana doit présenter une conférence mardi matin à l’Université d’été sur la francophon­ie des Amériques. L’événement a débuté lundi à l’Université du Québec à Chicoutimi et poursuit ses travaux jusqu’à dimanche.

Une quarantain­e de personnes y participen­t cette année en provenance de 12 pays d’Haïti au Brésil en passant par la Guyane Française et des États américains comme la Louisiane, la Floride et l’Alabama.

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EFBA Un organisme à but non lucratif, EFBA, offre des cours du soir à 400 élèves dans 25 écoles publiques de la région de San Francisco.

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