Un débat de société trop vite évacué
Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a refusé jusqu’ici la tenue d’une commission parlementaire sur le gonflement des notes à l’école. Il n’est pas trop tard pour faire marche arrière.
Àquelques semaines des examens de fin d’année, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a bien choisi son moment, fin avril, pour rendre public un sondage sur le maquillage des notes.
Ainsi, près de la moitié des enseignants du primaire et du secondaire ont affirmé que les notes attribuées à leurs élèves avaient été modifiées sans leur consentement depuis la rentrée scolaire 2015. «L’évaluation des élèves au Québec, c’est un grand mensonge », a dit le président de la FAE, Sylvain Mallette. Le syndicat a vite tiré ses conclusions. Pour atteindre leurs cibles de performance et de diplomation, le ministère de l’Éducation, les commissions scolaires et les directions d’école feraient des pressions indues sur les professeurs, qui se perçoivent comme les grandes victimes institutionnelles de ces dérives.
Les conclusions de la FAE sont hâtives, mais que dire de celles du ministre de l’Éducation? Après s’être montré préoccupé par les résultats du sondage, M. Proulx a finalement formulé, mercredi dernier, une directive par laquelle il enjoint aux professeurs forcés de hausser les notes de leurs étudiants de se plaindre auprès de leur commission scolaire. «Je ne veux pas que des organisations utilisent l’évaluation pour tenter d’améliorer leur bilan comme institution », a-t-il commenté.
Le ministre Proulx a raison sur ce point, mais pourquoi faire preuve d’autant d’empressement pour clore le débat? À l’Assemblée nationale, le Parti québécois, la Coalition avenir Québec et Québec solidaire ont demandé la tenue d’une commission parlementaire sur cette question d’intérêt public pour se heurter au refus catégorique du gouvernement Couillard.
M. Proulx juge que sa directive met fin à un problème non généralisé, selon sa propre analyse basée sur des conversations aléatoires avec des membres du personnel enseignant. «Cette histoire doit être derrière nous», a-t-il conclu sur un mode impératif inquiétant, que l’on retrouve habituellement chez son homologue de la Santé.
Au-delà du sondage de la FAE, personne ne semble avoir une juste idée de l’ampleur du phénomène du maquillage des notes. Une commission parlementaire civilisée, dans laquelle les partis d’opposition miseraient sur l’étude et l’analyse des enjeux, par opposition à l’injure et à l’inquisition contre le gouvernement, servirait l’intérêt public.
Les membres de la Commission de la culture et de l’éducation se réunissent aujourd’hui pour décider s’ils étudieront ou non ce dossier. Ce n’est pas à partir des approximations du ministre Proulx, ni d’un sondage syndical, que nous obtiendrons le portrait définitif du phénomène. La Fédération des commissions scolaires admet d’ailleurs qu’elle s’interroge toujours sur son ampleur.
Il faut bien distinguer les raisons derrière le gonflement des notes et leur occurrence. S’agit-il de cas de majorations modestes pour éviter à un élève à quelques points de la réussite les stigmates d’un redoublement? D’un traitement statistique sans conséquence? S’agit-il de l’influence indue qu’une nouvelle génération de parents-rois exerce sur les directions scolaires? Ou encore de pratiques systémiques pour maintenir artificiellement à la hausse la performance des écoles et le taux de diplomation du Québec ?
Ces quatre cas de figure n’ont pas la même gravité objective et ils ne nécessitent pas le même degré d’attention. La gestion du système scolaire par résultats produira toujours des effets pervers, qu’il faut contenir au minimum. Il est du devoir de l’État de s’assurer que la culture du nivellement par le bas demeure anecdotique, et non systémique, dans le domaine de l’éducation.
S’il est une chose qu’on ne peut tolérer, c’est bien des institutions scolaires défaillantes, qui seraient tentées de produire l’illusion de la réussite pour leurs élèves afin de maintenir leur propre pérennité. L’avenir du Québec s’en trouverait sacrifié. L’importance de l’enjeu justifie amplement une commission parlementaire.
L’exercice pourrait aussi permettre de s’interroger sur la fixation collective que nous entretenons au sujet des notes comme mesure de succès dans le monde scolaire et sur la qualité de l’évaluation des apprentissages. Le but de l’école n’est pas de distribuer des notes comme autant de récompenses et de sanctions, mais d’amener tous les élèves à s’épanouir et à progresser… Ce qui implique aussi de s’attarder aux élèves en difficulté, dont la prise en charge inadéquate est possiblement à la source de bien des épisodes de gonflement de notes.