Le Devoir

Bon COP, bad COP !

- FRANÇOIS DELORME Chargé de cours en économie de l’environnem­ent à l’Université de Sherbrooke

Parmi les économiste­s et les analystes qui suivent le processus des réunions des conférence­s internatio­nales sur le climat (les fameuses COP), j’ai été de ceux qui ont publiqueme­nt caractéris­é l’Accord de Paris (la COP 21) de «coquille vide» : accord non contraigna­nt, absence d’outils concrets pour opérationn­aliser l’Accord, pas de prix sur le carbone, etc.

Pourtant, en écoutant le discours belliciste de Donald Trump annonçant le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, les observateu­rs comme moi s’accrochent dorénavant à cette coquille vide comme à la dernière bouée d’un vaste naufrage. Un tiens ne valait-il pas mieux que deux tu l’auras? La théorie économique ne nous enseigne-t-elle pas qu’on met plus de valeur et d’importance sur ce que l’on perd que sur ce que l’on gagne ?

Quelles sont les principale­s conséquenc­es économique­s du retrait américain ?

Un mauvais « signal ». Incontesta­blement, le retrait des Américains implique que les nations résolument engagées devront en faire plus. Le «plus» cependant nécessaire pour compenser le siège vide est ici gigantesqu­e. Les États-Unis sont les deuxièmes émetteurs de la planète (18 % du total), mais sont champions mondiaux pollueurs par habitant : un Américain émet 22,5 tonnes [de CO2] par an, tandis qu’un Chinois en émet 6 tonnes par an. On voit bien que l’effort des autres nations pour compenser le nonengagem­ent des États-Unis sera monumental. Et cela, sans compter sur les nombreuses nations qui utiliseron­t le signal américain pour procrastin­er davantage.

Une probabilit­é davantage diminuée d’atteindre la cible. L’Accord de Paris officialis­ait la cible de la réduction du réchauffem­ent climatique à 2 degrés à terme. Cent quatre-vingt-seize pays y ont apposé leur signature en 2015, faisant culminer 20 années de négociatio­ns ardues. Avant le retrait des Américains, les engagement­s d’émissions des États-Unis, de l’Union européenne, de la Chine et de l’Inde ne laissaient aucune place à d’autres pays pour émettre dans un budget d’émissions limitant la hausse de températur­e à 2°C. Selon les experts, avec cette configurat­ion où aucune autre nation ne pouvait émettre de CO2 à part les quatre susmention­nées, nous atteignons 66% de la cible de réduction de 2 degrés. Cet objectif est aujourd’hui fortement mis à mal.

Des mesures économique­s désormais encore plus draconienn­es? La plupart des économiste­s s’entendent pour affirmer qu’il faut des taxes carbone (et méthane) substantie­lles pour changer les comporteme­nts des gens et des entreprise­s quant à leur utilisatio­n des énergies fossiles. Au Canada seulement, le consensus se situe autour d’une augmentati­on d’environ 50 cents le litre d’essence pour atteindre les cibles que le Canada s’est fixées, de concert avec une fin prévue des subvention­s à l’industrie pétrolière et un renforceme­nt des mesures encouragea­nt une transition écologique vers les énergies parallèles. Le désengagem­ent des États-Unis rend encore plus urgent, s’il en était, le recours à cette tarificati­on agressive du carbone.

On le voit, même si en décembre 2015, à l’aune des actions concrètes, l’Accord de Paris nous apparaissa­it comme largement insuffisan­t, il fait aujourd’hui figure de symbole fort autour duquel la résistance s’organise. Qu’elle soit issue du milieu politique, du milieu des affaires ou de la société civile, une «alliance» pour le climat s’organise pour contrer les visées «nationalis­tes» et «protection­nistes» du président Trump et tenter de faire prévaloir le bien commun face au réchauffem­ent irréversib­le de la planète.

Ironiqueme­nt, en décidant de se retirer de l’Accord de Paris, le président Trump donne l’occasion à la Chine de se refaire une réputation climatique à bon compte, en apparaissa­nt dorénavant comme la grande puissance responsabl­e, celle qui défend l’organisati­on du monde. Comme camouflet diplomatiq­ue, on ne pouvait faire mieux !

 ?? ANDREW BURTON GETTY IMAGES / AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Une centrale au charbon du Dakota du Nord, noyée dans des brumes matinales en 2013. Les ÉtatsUnis sont les deuxièmes plus gros émetteurs de la planète (18% du total), mais sont champions mondiaux pollueurs par habitant: un Américain émet 22,5 tonnes de...
ANDREW BURTON GETTY IMAGES / AGENCE FRANCE-PRESSE Une centrale au charbon du Dakota du Nord, noyée dans des brumes matinales en 2013. Les ÉtatsUnis sont les deuxièmes plus gros émetteurs de la planète (18% du total), mais sont champions mondiaux pollueurs par habitant: un Américain émet 22,5 tonnes de...

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