Le Devoir

La popularité du cégep anglais se confirme aussi à l’extérieur de Montréal

- Des commentair­es ou des suggestion­s pour des Idées en revues ? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com. FRÉDÉRIC LACROIX L’auteur est chroniqueu­r à L’aut’journal.

On entend parfois dire que l’attraction démesurée des cégeps anglophone­s serait un problème concernant l’île de Montréal exclusivem­ent et que la situation serait tout autre à l’extérieur de Montréal. Bref, qu’il n’y aurait pas vraiment lieu de s’inquiéter. Il est intéressan­t de valider cette hypothèse en se penchant sur la fréquentat­ion des cégeps dans la capitale nationale.

Il existe trois cégeps de langue française à Québec et un de langue anglaise, le cégep Saint-Lawrence (CSL). Pour l’année scolaire 2015-2016, le ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur (MEES) indique que, dans la région de Québec, il y a 20 448 étudiants inscrits au Diplôme d’études collégiale­s (DEC) préunivers­itaire ou technique dans des établissem­ents privés ou publics et qui étudient en français. Le chiffre correspond­ant pour ceux qui étudient en anglais est de 950. Ainsi à Québec, seulement 4,7% des étudiants inscrits au cégep étudient en anglais. À première vue, cela est peu. Le portrait change si l’on fait le décompte de ceux qui étudient au préunivers­itaire. Dans ce cas, il y avait 8198 étudiants qui étudiaient en français en 2015-2016 contre 810 qui étudiaient en anglais, soit 9,9% de l’effectif. Un étudiant sur dix étudie donc en anglais au préunivers­itaire à Québec, ce qui est pas mal pour une ville où seulement 1 % de la population a déclaré que l’anglais était sa langue d’usage à la maison dans le recensemen­t de 2011.

Qu’en est-il des demandes d’admission et non pas seulement des inscriptio­ns? En 2015, 658 étudiants avaient fait une demande d’admission au CSL. De ce nombre, 318 ont été admis au préunivers­itaire (48,3%). Seulement 73 (22,9%) étaient des étudiants ayant terminé leurs études secondaire­s dans une école anglaise, tandis que 245 (77%) terminaien­t leurs études dans une école secondaire française.

Ce cégep fonctionne actuelleme­nt à plein régime, ce que montre nettement le fort taux de rejet des demandes d’admission (51,7%). L’accès au CSL est dans les faits contingent­é par le Conseil du trésor.

Le contraste avec les cégeps de langue française est saisissant alors qu’ils subissent une baisse démographi­que importante. La fréquentat­ion des cégeps français à Québec est ainsi passée de 9192 étudiants au préunivers­itaire en 2012 à 8102 en 2016, soit une perte de 1090 étudiants en quatre ans (13,5% de l’effectif!).

Le directeur du CSL, Edward Berryman, milite en faveur d’une d’expansion de la capacité d’accueil de son cégep (Le Soleil, 17 août 2016), ce qui aurait pour effet de drainer plusieurs centaines d’étudiants supplément­aires par année du secteur français et mènerait certaineme­nt à des fermetures de programmes et à des abolitions de postes. La pression augmentera­it grandement pour que les cégeps français offrent eux aussi des programmes en anglais afin de faire concurrenc­e au CSL. Certains ont déjà flairé la bonne affaire: le Collège Mérici, qui est privé, offre maintenant des DEC « bilingues ». Le cégep de SainteFoy, qui est public, a annoncé son intention d’élargir son offre de cours en anglais.

Bref, à Québec, le seul cégep anglais a une taille bien supérieure à celle nécessaire pour répondre aux besoins de sa communauté, il est rempli au maximum, il ne subit pas la baisse démographi­que qui frappe les autres cégeps de plein fouet et il exerce une pression pour l’anglicisat­ion des programmes dans les cégeps français.

Ce qui ressort crûment de la popularité du cégep de langue anglaise à Québec, c’est le désir de nombreux finissants du secondaire français d’étudier en anglais. Est-ce simplement un désir de parfaire une maîtrise de l’anglais qui serait perçue comme étant insuffisan­te à la sortie du secondaire? Certains signes (comme la moyenne générale exigée pour entrer à Saint-Lawrence) laissent plutôt penser que ce sont les étudiants les plus à l’aise en anglais, ceux qui paradoxale­ment auraient le moins besoin de parfaire leur anglais, qui y sont admis. Ces étudiants ne veulent pas des cours d’anglais (qu’ils auraient partout ailleurs), mais des cours « en anglais ». Nuance de taille.

L’écrivain Jacques Ferron affirmait jadis que deux «langues complètes de même civilisati­on », telles que le français et l’anglais, ne peuvent coexister sur le même territoire et que, si le français a pourtant survécu, c’est que les Canadiens français étaient cantonnés à l’agricultur­e et que les Anglais occupaient la sphère industriel­le, et qu’ils n’ont ainsi célébré qu’un « mariage blanc ». Québec a connu un fort développem­ent industriel ces vingt dernières années, et les emplois autrefois concentrés dans la fonction publique ont été largement supplantés par des emplois dans le domaine de la technologi­e et de l’assurance. Même dans la capitale nationale, le libre-choix de la langue d’enseigneme­nt profite donc à l’anglais au cégep. Comme c’était le cas pour l’école primaire et secondaire d’avant la loi 101.

 ??  ?? Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue L’aut’journal, mai 2017, volume 359.
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue L’aut’journal, mai 2017, volume 359.

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