L’oeuvre de Messiaen, matière vivante
La musique classique comme source d’une pièce chorégraphique collective dans l’air du temps
Depuis 2013, la compagnie Ballet-Opéra-Pantomime (BOP) collabore avec des créateurs audacieux issus de diverses disciplines afin d’imaginer de nouveaux cadres pour la musique classique. Cette année, les musiciens s’allient à un quartet de chorégraphes de caractère pour donner vie à une pièce du grand compositeur français Olivier Messiaen. La mise en scène qui porte les griffes de Karina Champoux, Dave StPierre, Frédéric Tavernini et Anne Thériault viendra clore les activités du OFFTA.
Après avoir collaboré l’an dernier avec Dave St-Pierre sur l’opéra pop Le vin herbé (mise en scène de Philippe Boutin), les cofondateurs de BOP, Hubert Tanguay-Labrosse et Alexis Raynault, ont voulu renouveler l’expérience en posant cette fois la danse au premier plan. Pour les deux musiciens soucieux de mettre le classique à la portée de tous, la pièce de Messiaen présentait «un beau potentiel pour rejoindre des gens qui, d’habitude, ne viennent pas au concert».
OEuvre du répertoire contemporain, Quatuor pour la fin des temps s’inspire de certains passages de l’Apocalypse, mais ce thème ne s’inscrit qu’en filigrane de la performance proposée par les danseurs: «Si j’ai approché Karina, Anne et Frédéric, c’est parce que je sais qu’on a les mêmes idéaux artistiques, explique Dave StPierre. L’idée était de trouver ensemble une vision commune de ce projet. On ne s’est pas arrêtés à l’imagerie biblique présente chez Messiaen. Même si les images qu’on apporte peuvent porter une connotation biblique, ce n’est pas un aspect qu’on a voulu à tout prix évoquer. On a plutôt eu envie de pousser le performatif.»
Anne Thériault et Karina Champoux parlent quant à elles de symboles libres et d’un jeu sur les échelles (du micro au macro, du cellulaire au cosmique) dans une proposition structurée et instinctive, sans formes arrêtées. Composée à plusieurs mains, la pièce porte les différents questionnements et enjeux qui animent les chorégraphes (dépassement de la binarité des identités de genre, renouveau des duos homme-femme).
Un corps à corps entre musique et danse
«La présence des danseurs nous apporte une certaine énergie et nous rend plus conscients de notre présence, notre manière de bouger et d’être en scène », affirme M. Tanguay-Labrosse, clarinettiste sur le projet. « Et vice versa, ajoute Dave St-Pierre. Souvent en spectacle, la musique est “morte”, parce qu’on ne voit pas l’effort et l’énergie que ça prend pour l’interpréter. Pour nous, d’avoir des musiciens live en scène et de les voir pousser certaines notes, ça change complètement la donne. Il y a une charge physique énorme qu’on ne voyait pas, qu’on faisait juste entendre, et là, tout à coup, la musique devient vivante. »
«C’est une pièce très exigeante physiquement pour les musiciens, car Messiaen voulait créer un sentiment d’infini, reprend M. Tanguay-Labrosse. Les musiciens sont poussés aux limites de la lenteur. Pour les instruments à cordes, il faut que le mouvement du bras soit hyper ralenti pour tenir de très longues notes. »
Prenant en compte cette physicalité des musiciens, les performeurs cherchent à orienter le regard du spectateur vers ces corps à corps avec les instruments: « Leur présence amène une tout autre dimension à la mise en scène. Autant que l’effort visible, c’est aussi beau de voir un instrumentaliste en train de vivre la musique. On veut s’attarder sur ces choses qui sont vraies et qui existent au travers de conventions de spectacle, affirme Anne Thériault. En danse, on travaille beaucoup avec la sensation, l’instinct, le sensible, ce que la musique nous fait sentir. En mettant des mots sur les différents mouvements qui composent l’oeuvre, Hubert et Alexis nous ont permis d’accéder à un autre niveau. »
Pour les membres de BOP, la danse représente une valeur ajoutée pour amener un imaginaire et des couleurs au Quatuor pour la fin des temps. Ils espèrent ainsi déjouer les stéréotypes associés aux concerts classiques, «cette idée courante est qu’il faut être à tout prix un connaisseur pour pouvoir aimer le classique».