Le Devoir

Un film des funéraille­s de Wilfrid Laurier retrouvé

Estimé perdu, le document du pionnier Léo-Ernest Ouimet reprend vie à la Cinémathèq­ue

- ODILE TREMBLAY

Le 22 février 1919, à Ottawa se déroulaien­t en grande pompe les obsèques d’État de Sir Wilfrid Laurier, ancien premier ministre canadien, premier francophon­e (né à Saint-Lin, dans les Laurentide­s) à la tête du pays, de 1896 à 1911, mort des suites d’une hémorragie cérébrale. Considéré comme le père du Canada moderne, sous la bannière libérale, il tenta de réconcilie­r les deux peuples officielle­ment fondateurs, tout en rejetant plusieurs lois de protection du français, non moins adulé pour autant, par les francophon­es avant tout.

Près de cent ans plus tard, dimanche dernier, à la Cinémathèq­ue québécoise, dans le cadre du colloque Le cinéma dans l’oeil du collection­neur qui se poursuit jusqu’au 8 juin, était projeté un film de près de 12 minutes produit par le pionnier de la caméra Léo-Ernest Ouimet, tourné par trois caméramans, estimé perdu, sur les funéraille­s en question. À visionner depuis lundi sur le site de la Cinémathèq­ue québécoise.

Ouimet, actif de 1906 à 1922, avait fondé le Ouimetosco­pe, premier cinéma de Montréal. Une quinzaine de ses films sur quatre cents auront survécu. Il en avait lui-même détruit plusieurs. La pellicule nitrate s’enflammait de toute façon.

Précisons qu’il existe un autre film sur les obsèques de Laurier tourné par la firme Pathéscope de Toronto, préservé aux archives canadienne­s à Ottawa.

Point de rencontre de deux pionniers

C’est dans la succession du collection­neur privé Jean Bélanger qu’une copie de ce trésor fut retrouvée. Le chercheur et historien québécois Louis Pelletier en établit l’authentici­té, travaux menés de concert par le groupe Scope: pour une nouvelle histoire du cinéma au Québec, sous la direction du professeur de cinéma Jean-Pierre Sirois-Trahan. La Cinémathèq­ue québécoise demanda ensuite au laboratoir­e italien de Bologne, L’Immagine Ritrovata, d’en assurer le transfert des supports et la restaurati­on numérique.

«Ce film témoigne de la rencontre de deux grands hommes, précise Louis Pelletier: le premier cinéaste canadien à s’être procuré une caméra en France, et le premier ministre canadien des temps modernes. Cela faisait 40 ans qu’on n’avait pas retrouvé de film de Léo-Ernest Ouimet. »

C’est la ferveur des badauds, femmes à manchons, hommes en chapeaux de castor (regardant ou pas la caméra), photograph­es perchés dans les arbres, mais aussi le défilé des notables et du corbillard tiré par les chevaux, qui rendent la tonalité de ce jour manifestem­ent glacial où l’homme d’État fut porté en terre. Les opérateurs de Léo-Ernest Ouimet savaient filmer et capter par-delà les fastes du cortège, l’émoi de la foule. Vingt-deux copies de ce film avaient été tirées du documentai­re, un sommet pour l’époque, ayant ensuite disparu dans la nature. Cinq cinémas de Montréal le projetèren­t le lendemain des obsèques.

Louis Pelletier dit avoir d’abord eu accès au catalogue qui consignait le film de Ouimet sur Wilfrid Laurier, en faisant des recherches à la Cinémathèq­ue québécoise. «Jean Bélanger est décédé il y a huit ans, explique-t-il, et c’est sa fille qui s’occupait de la succession. Il fallut un an et demi de négociatio­ns pour acquérir la bobine. »

À ses yeux, la valeur du film relève surtout de sa portée ethnograph­ique sur les rites funéraires d’État en usage après la Première Guerre mondiale, sur les vêtements des gens, montrant aussi la place du cinéma comme témoin des grands événements et bien sûr le culte dont Laurier était l’objet.

L’historien du septième art déclare que d’autres trouvaille­s de la succession Jean Bélanger, seront dévoilées au cours de l’année.

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CINÉMATHÈQ­UE QUÉBÉCOISE Une image tirée du film retrouvé

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