Le Devoir

« Nous devons remplacer la peur par l’espoir »

L’ex-président a contredit nombre de positions de son successeur sans jamais le nommer

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Une heure, douze minutes et quelque trente secondes de discours puis d’entrevue et pourtant, le nom de l’actuel occupant de la Maison-Blanche n’a pas été prononcé une seule fois par son très prestigieu­x et très adulé prédécesse­ur. Ni par son interviewe­use, d’ailleurs.

Pourtant, l’ombre de celui-dont-il-semblequ’il-fallait-taire-le-nom n’a cessé de hanter l’événement jusque dans ses moindres recoins. Un peu comme un fantôme de Poudlard.

Barack Obama, 44e président des États-Unis, était donc à Montréal mardi soir pour livrer ses propos et confidence­s sur l’état du monde dans le cadre de la série de conférence­s des leaders

internatio­naux de la Chambre de commerce. Sa sortie publique a servi à passer en revue les grandes questions qui se posent à la conscience de notre époque, les enjeux fondamenta­ux de notre temps: changement­s climatique­s, transforma­tions technologi­ques, avenir du travail, mutation de l’État-providence, sort des réfugiés, lutte contre le terrorisme, collaborat­ion internatio­nale, etc. Tout a été évoqué et au pas de charge.

Chaque fois, immanquabl­ement, l’ex-président a pris le contre-pied des politiques défendues par son successeur sans jamais le mentionner. Chaque fois, Barack Obama s’est présenté comme ce qu’il était (ou pensait incarner) quand il dirigeait les États-Unis et ce qu’il souhaite être maintenant qu’il dirige la fondation qui porte son nom: un anti-trumpien convaincu, qui prône l’ouverture des frontières, l’interconne­xion du monde et des gens, et la protection des plus faibles contre les trop puissants.

Le leader charismati­que a résumé le dilemme fondamenta­l en parlant d’un choix entre l’espoir et la peur. L’espoir s’arrime selon lui au monde de paix, de prospérité et d’entraide créé après les deux conflits mondiaux et la première moitié du terrible XXe siècle. La peur pousse plutôt vers le repli sur soi, l’isolationn­isme, le nationalis­me extrême, la xénophobie.

«Nous devons remplacer la peur par l’espoir», a martelé celui dont le célèbre slogan électoral disait « Yes We Can ! ». « C’est la vision dont nous avons besoin. […] Je dis souvent aux jeunes “Si vous aviez à choisir de renaître n’importe quand dans l’histoire, vous choisiriez maintenant”. C’est une époque extraordin­aire, mais trop souvent tenue pour acquise.»

Il a ensuite détaillé ce principe d’espérance autour de points précis. Et chaque fois, le contraste devenait évident avec les options du républicai­n-Donald-Trump:

Égalité. «Nous devons nous assurer que les succès de l’économie profitent à tous et pas seulement à quelques-uns », dit l’ex-président en insistant sur le fait que le capitalism­e et les droits de la personne, avançant en cordée, avaient bénéficié à l’humanité. « Mais il faut reconnaîtr­e qu’une économie de plus en plus inégalitai­re met en danger l’équilibre de l’ordre mondial », ajoutet-il en critiquant l’accumulati­on croissante de richesse pour le seul 1 % du haut de la pyramide sociale.

Climat. Il souligne que de nombreux États américains vont continuer à travailler contre les changement­s climatique­s malgré le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. L’espoir est là. Il affirme qu’une économie plus verte crée des emplois et des bons, alors qu’une propagande hostile insiste davantage sur les pertes d’emplois dans certains secteurs désuets.

Éducation. Barack Obama, lui-même diplômé de grandes université­s américaine­s, insiste sur ce point: l’éducation est la clé du développem­ent de qualité. Il demande aussi de mieux payer les enseignant­s.

Implicatio­n. Il redit l’importance de s’impliquer activement dans le monde pour le transforme­r. La Fondation Obama appuie précisémen­t l’action citoyenne, par exemple pour favoriser le développem­ent de leaders communauta­ires.

Accueil. L’ex-président défend la nécessité d’accueillir des réfugiés et des immigrants «tout en restant fidèles à nos traditions démocratiq­ues ». Il cite alors New York, Chicago et Montréal comme cités modèles.

Oh! Montréal!

L’honorable et généreux invité a insisté à quelques reprises sur les leçons positives à tirer du Canada et en particulie­r de Montréal, où il se trouvait pour la première fois. Il a souhaité un « bon anniversai­re », en français, à « une ville extraordin­aire, de classe mondiale ».

«Note liberté, notre qualité de vie, en Occident, aux États-Unis et au Canada font l’envie du monde. À tel point que des gens sont prêts à traverser à pied des déserts, à traverser des mers dans l’espoir que leurs enfants puissent bénéficier des avantages que nous tenons pour acquis. »

Environ 6000 personnes remplissai­ent une très grande salle du Palais des congrès. Le premier ministre Couillard y était, mais pas Justin Trudeau, avec lequel M. Obama a toutefois soupé hier soir.

L’assemblée gagnée d’avance (les billets se revendaien­t des centaines de dollars), sur son trente-six, un peu comme pour un gala artistique, a réservé quelques ovations à l’orateur admiré. La première, à son arrivée sur la tribune, a duré près d’une minute. Les plus fortes ont certaineme­nt été pour les prises de position en faveur de l’Accord de Paris sur le climat.

Barack Obama est reconnu comme tribun exceptionn­el, et il a été fidèle à sa très enviable réputation. Il possède ces qualités «spécifique­ment extra-quotidienn­es qui ne sont pas accessible­s à tous», dont appelait Max Weber à propos du chef charismati­que. Il fascine par sa présence et son éloquence. Il suscite l’adhésion par son assurance et son ascendance exceptionn­elle.

D’entrée de jeu, mardi soir, il a séduit la foule en disant qu’il était très heureux d’être à Montréal parce qu’«il y a beaucoup de Michelle ici», une référence au prénom francophon­e de sa femme.

En fin de course, son hôtesse Sophie Brochu l’a interrogé sur la possibilit­é qu’une des Obama, sa femme ou une de ses deux filles, lui succède en politique. Il a répété que Michelle Obama « n’était pas intéressée », mais que l’on pouvait juger un pays et le monde à la manière dont y sont traitées les femmes.

«Si on donnait le pouvoir aux femmes dans tous les pays pendant deux ans, le monde serait profondéme­nt transformé », a-t-il affirmé. Et toujours sans citer celui-dont-il-faut-taire-le-nom.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR L’ex-président américain Barack Obama s’est adressé à une foule d’environ 6000 personnes au Palais des congrès.
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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Après avoir livré son discours, Barack Obama a répondu aux questions de Sophie Brochu.

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