Le Devoir

Le repli américain ouvre la porte au Canada

Chrystia Freeland dessine les contours de la politique internatio­nale du pays

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le protection­nisme et le repli sur soi de Donald Trump ne font pas que des malheureux. Face au désengagem­ent du nouveau président américain sur la scène internatio­nale, Justin Trudeau compte reprendre le flambeau afin de faire du Canada un véritable leader sur l’échiquier mondial. La conjonctur­e est bel et bien la bonne, consentent experts et partis d’opposition, mais encore faut-il voir les gestes concrets que feront les libéraux, préviennen­t-ils.

Le gouverneme­nt Trudeau passera la semaine à détailler ses ambitions internatio­nales. La ministre des Affaires étrangères prononçait mardi un grand discours présentant les jalons de sa politique internatio­nale. Le ministre de la Défense dévoilera mercredi son programme des pro-

chaines années. Ce sera ensuite au tour de la ministre du Développem­ent internatio­nal de partager vendredi les conclusion­s de son évaluation des politiques canadienne­s d’aide internatio­nale. Depuis deux ans, le premier ministre martelait que le « Canada est de retour » sur la scène internatio­nale. Place, maintenant, au plan de match.

« Le fait que notre ami et allié [américain] mette en doute la valeur de son leadership mondial met encore plus en lumière le besoin pour le reste d’entre nous de tracer notre propre voie précise et souveraine. Pour le Canada, cette stratégie doit consister à renouveler, en fait à renforcer l’ordre multilatér­al d’après-guerre», a fait valoir la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, dans un discours aux Communes qui se permettait pour une rare fois quelques critiques à l’endroit du voisin américain.

La ministre s’en est prise au protection­nisme — auquel il n’existe pas de «solutions simples». Mettre « le Canada en premier » serait « une mauvaise approche », a-t-elle lancé.

Selon elle, certains électeurs aux États-Unis se sont prononcés, l’an dernier, «en étant en partie animés par le désir de se libérer du fardeau de chef de file mondial ». «Nous cherchons à persuader nos amis, et devons continuer à le faire, qu’il est dans leur intérêt national ainsi que dans celui du reste du monde libre de continuer d’exercer un leadership internatio­nal», a argué la ministre. Mais en parallèle, le gouverneme­nt libéral compte se tailler une place de leader lui aussi, a-t-elle plaidé.

La ministre s’est portée à la défense de l’« inviolabil­ité des frontières » — un principe aujourd’hui « assiégé » par le groupe armé État islamique et la Russie. Mme Freeland compte s’assurer que le Canada joue «un rôle de chef de file » au sein des tribunes multilatér­ales — notamment en briguant un siège au Conseil de sécurité de l’ONU pour 2020.

Les libéraux veulent s’inspirer des efforts du Canada à la suite de la Seconde Guerre mondiale — à la Conférence de Bretton Woods qui a vu naître la Banque mondiale et le Fonds monétaire internatio­nal, ou sous l’égide de Lester B. Pearson lors de la crise du canal de Suez. « Maintenant, notre expérience, expertise, géographie et diversité ainsi que nos valeurs font en sorte que nous sommes appelés à jouer de nouveau un rôle semblable en ce siècle nouveau », a plaidé la ministre.

Nouveau trio mondial

«Le malheur de l’un pourrait faire le bonheur des autres », observe Charles-Philippe David, de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. Le Canada pourrait selon lui «profiter du fait que Donald Trump a les yeux rivés sur son nombril pour faire autre chose sur la scène internatio­nale», comme diriger une mission de maintien de la paix ou chapeauter une réponse internatio­nale à la famine qui afflige l’Afrique de l’Est. «Ça, Trump n’en a rien à cirer. On peut à la fois contenir Donald Trump, ne rien dire de méchant contre lui pour ne pas nuire à l’économie canadienne sans que cela nous empêche de nous exprimer sur un nombre de dossiers. »

Qui plus est, un trio Justin Trudeau, Angela Merkel (Allemagne) et Emmanuel Macron (France) pourrait s’allier pour « reposition­ner les priorités internatio­nales». Il faudra toutefois que le premier ministre canadien fasse preuve de volonté politique et ajoute sa voix et ses gestes aux paroles de sa ministre Freeland, prévient M. David.

Le politologu­e surveiller­a le dévoilemen­t de la politique de défense du ministre Harjit Sajjan mercredi, au moment où l’ONU s’impatiente d’attendre l’annonce d’une participat­ion canadienne à une mission de paix. Le ministre Sajjan risque par ailleurs de préciser l’augmentati­on du financemen­t prévue pour l’armée canadienne. Ottawa fera «les investisse­ments nécessaire­s », a promis la ministre Freeland, « non seulement pour rattraper les années de négligence et de sous-financemen­t, mais aussi pour permettre aux Forces armées canadienne­s de repartir sur une nouvelle base».

La ministre du Développem­ent internatio­nal présentera quant à elle une nouvelle politique féministe en matière d’aide internatio­nale.

En attendant des gestes concrets

Les partis d’opposition ont dénoncé un discours trop philosophi­que à leur goût. « D’entendre ce discours si vide de détails témoigne tristement de la position libérale en matière de politique étrangère », a reproché le conservate­ur Peter Kent, dont le parti aurait souhaité des promesses concrètes pour les droits de la personne en Chine, les réfugiés yézidis d’Irak ou les homosexuel­s de Tchétchéni­e, notamment.

La néodémocra­te Hélène Laverdière a renchéri en évoquant la détention de Raïf Badawi ou la vente d’armes à l’Arabie saoudite. « Finalement, ça réitère des principes que le Canada a défendus depuis des décennies. »

Le bloquiste Luc Thériault s’est dit « frustré de voir un discours purement idéologiqu­e». « Le leadership, ça s’exerce au niveau mondial quand tu as de la crédibilit­é. Et la crédibilit­é, ça se mesure aux gestes concrets, pas à la complaisan­ce. »

 ?? ADRIAN WYLD LA PRESSE CANADIENNE ?? Le Canada entend jouer un rôle de premier plan sur la scène internatio­nale, a expliqué mardi la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.
ADRIAN WYLD LA PRESSE CANADIENNE Le Canada entend jouer un rôle de premier plan sur la scène internatio­nale, a expliqué mardi la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.

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