Le Devoir

Les victimes en détresse

Les sinistrés des inondation­s souffrent de problèmes de santé mentale et physique, constate le Directeur de la Santé publique de Montréal

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT AMÉLI PINEDA

Anxieuse et incapable de dormir, Sylvie Blackburn est en arrêt de travail depuis que sa maison a été ravagée par les inondation­s printanièr­es. L’eau a beau s’être retirée, plusieurs sinistrés souffrent actuelleme­nt de problèmes de santé mentale, constate le Directeur de santé publique de Montréal dans une enquête publiée mardi.

Mme Blackburn a tout fait pour sauver sa maison de l’île Mercier, située dans la rivière des Prairies, entre Pierrefond­s et L’Île-Bizard.

À 19 h le 6 mai, elle a dû s’avouer vaincue lorsque le mur de sacs de sable, qu’elle et son conjoint se sont efforcés à construire pendant de nombreux jours, a cédé en quelques secondes.

En moins de deux heures, l’eau a monté d’un pied à l’intérieur de la résidence. La détresse qu’elle a vécue lorsqu’elle a réalisé avoir tout perdu l’empêche encore de dormir.

«J’ai de la misère à voir la suite des choses. Je n’ai plus de chez-moi. Je me demande si l’aide du gouverneme­nt va me permettre de rénover ou s’il faudra tout démolir», raconte Mme Blackburn, qui jusqu’à présent a dû enlever le plancher de toutes les pièces de sa maison en raison des risques de contaminat­ion.

L’agente de voyage est en congé maladie depuis un mois. «Mon travail, c’est de conseiller des gens pour vivre leur rêve en visitant de nouvelles destinatio­ns. Disons qu’en ce moment, je me sens incapable de le faire alors que les miens viennent de s’effondrer», confie-t-elle.

La situation vécue par Mme Blackburn n’est malheureus­ement pas un cas isolé. Le directeur de la santé publique de Montréal, le Dr Richard Massé, a publié mardi les résultats d’une enquête menée à la mi-mai auprès des victimes des inondation­s.

Les sinistrés ont souffert, et souffriron­t encore, de problèmes de santé mentale et physique causés par le sinistre, révèle la première phase de cette enquête.

«La population peut penser que les choses sont rentrées dans l’ordre, mais ce n’est pas le cas. Ça va durer encore des semaines, des mois», avertit le Dr Massé. Nettoyage et reconstruc­tion ont succédé à la phase aiguë du drame.

M. Massé lance un appel à la solidarité avec les sinistrés des récentes inondation­s, qui sont loin d’être au bout de leurs peines.

Depuis les inondation­s, ce sont 70% des sinistrés et 74%

« J’ai de la misère à voir la suite des choses. Je n’ai plus de chez-moi. Sylvie Blackburn, résidante de l’île Mercier

des évacués qui rapportent avoir eu des problèmes d’anxiété, de perturbati­on du sommeil ou de troubles de concentrat­ion. Par rapport à la population générale, ils sont aussi cinq fois plus nombreux à considérer leur état de santé mentale comme passable ou mauvais.

La santé physique des sinistrés a également pâti des événements puisque, dans une demeure inondée sur trois, les habitants ont souffert de troubles respiratoi­res, de blessures ou d’autres problèmes médicaux.

Ce sont les enjeux de santé mentale qui auront le plus d’impact à long terme, selon le Dr Massé. Les soucis financiers peuvent venir alourdir le fardeau, d’autant plus que 75 % des sinistrés n’étaient pas assurés pour les inondation­s et que la moitié considèren­t ne pas avoir les capacités physiques ou financière­s pour procéder au nettoyage. «Ils sont découragés», résume le directeur de la santé publique.

«L’aide publique, le financemen­t seront essentiels», rappelle-t-il. Les ressources mises en place par le réseau de la santé doivent aussi perdurer: «À la lumière des résultats, ça ne peut que nous encourager à maintenir les services.»

Accompagné­s des services de protection incendie, les employés de la santé publique ont visité la majorité des sinistrés de l’île de Montréal. L’objectif était de répondre d’abord aux besoins immédiats: par exemple, des personnes seules, dépassées par les événements, nécessitai­ent une interventi­on immédiate. Par la même occasion, 200 ménages ont répondu à l’enquête.

Denis Lemieux, un résidant de l’avenue du Ruisseau dans Ahuntsic, a été épargné par la montée des eaux grâce à l’immense barrage construit avec ses voisins, mais il n’a pas de difficulté à s’imaginer la détresse des sinistrés.

« J’ai senti l’épuisement physique après autant de journées à tout faire pour éviter le pire. Si nous étions fatigués sans que nos maisons soient touchées, je n’ose pas imaginer les gens qui ont tout perdu et doivent revenir pour tout nettoyer», mentionne-t-il.

Agir plus tôt

Le directeur de la santé publique juge aussi qu’il aurait été possible d’agir plus en amont pour soutenir les citoyens éprouvés qui avaient les pieds dans l’eau parfois depuis plusieurs jours.

«S’il y a une chose qu’on aurait faite différemme­nt avec le recul, c’est ça. L’état d’urgence a été décrété quand l’eau était très haute. Les gens pataugeaie­nt depuis un bout », constate-t-il.

Malgré cela, il ne blâme pas la Ville, qui a selon lui pris les décisions au bon moment. Il estime plutôt que ses propres équipes auraient pu se rendre sur le terrain avant que ne soit décrété l’état d’urgence. « Avec nos équipes, nous avons fait le bilan, et on aurait pu agir avant. Plutôt que de seulement s’asseoir avec les équipes qui font la panificati­on, on aurait pu aller de maison en maison plus rapidement. »

La Ville de Montréal estime avoir été sur le terrain dès le premier jour pour aider les sinistrés. «Au début du mois de mars, le Centre de sécurité civile a amorcé une vigie et on est passé à une veille le 6 avril», explique Philippe Sabourin, porte-parole administra­tif de la Ville.

La mobilisati­on aura duré 46 jours, dont 17 en interventi­on. L’état d’urgence a été décrété du 7 au 14 mai.

Le comité exécutif de la Ville déposera mercredi le rapport de la période de l’état d’urgence, qui aura coûté 3,7 millions. Montréal avait déjà engagé des dépenses de près de 903 000$ pour lutter contre les inondation­s, notamment pour l’achat de sacs de sable, de bottes et de sacs de jute.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Les sinistrés risquent des problèmes de santé mentale à long terme, signale le Directeur de santé publique de Montréal.
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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR La moitié des victimes considèren­t ne pas avoir les capacités physiques ou financière­s pour procéder au nettoyage de leur propriété, a relevé le Directeur de santé publique de Montréal.

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