Le Devoir

Souffler sur le feu

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Les tensions couvaient entre Riyad et le Qatar depuis des années, elles éclatent maintenant au grand jour à la faveur de la récente visite de Donald Trump en Arabie saoudite. On ne compte plus le nombre de fois où le comporteme­nt du président américain a semé la stupéfacti­on depuis son entrée en fonction, soulevant toujours la même question: M. Trump sait-il ce qu’il fait? — alors qu’il devient tous les jours plus évident que la réponse tient assez simplement au fait que son rapport au monde, aux choses et aux personnes se résume pour l’essentiel à une approche transactio­nnelle dont le principal ingrédient est l’affronteme­nt.

Il y a deux semaines, à Riyad, devant les leaders d’une cinquantai­ne de pays arabes musulmans, M. Trump a très publiqueme­nt embrassé la dictature saoudienne comme partenaire principal dans la lutte contre le terrorisme et contre l’influence régionale de l’Iran. Comme si Riyad n’avait rien à voir avec la disséminat­ion du terrorisme à travers le monde. Comme si le groupe armé État islamique et l’Iran, c’était du pareil au même.

M. Trump avait-il préalablem­ent mesuré les implicatio­ns de ses propos? Toujours est-il que, ce faisant, il s’est trouvé à autoriser l’Arabie saoudite et un certain nombre de ses acolytes (Émirats arabes unis, Bahreïn, Égypte, Yémen) à libérer leur colère contre ce petit et richissime Qatar dont ils n’apprécient pas la «diplomatie du grand écart» et qu’ils accusent de trahir la cause anti-iranienne. Lundi, rompant leurs relations diplomatiq­ues avec Doha tout en lui imposant de facto un blocus terrestre, maritime et aérien, ils ont donc ouvert, avec la bénédictio­n de M. Trump, une crise sans précédent qui envenime une situation qui est au Proche-Orient déjà fort violente et fort compliquée.

La monarchie qatarie pratique en effet une diplomatie qui mange à tous les râteliers et qui a de quoi déboussole­r. C’est ainsi que le Qatar abrite la plus importante base militaire américaine de la région tout en offrant le gîte à des représenta­nts du Hamas, qu’il a soutenu les Frères musulmans en Égypte et, de ce fait, son Printemps arabe (en usant bien du réseau al-Jazira), qu’il a établi des contacts avec les talibans afghans et des groupes islamistes qui se battent contre le régime syrien de Bachar al-Assad… tout en conservant de bonnes relations avec Téhéran.

C’est probableme­nt pour ces bonnes relations avec l’Iran que le Qatar agace le plus ses rivaux et que ces derniers le punissent aujourd’hui. Le fait est pourtant que tout le monde sunnite ne partage pas l’obsession anti-iranienne de l’Arabie saoudite. Des pays comme Oman, le Koweït, la Jordanie et le Pakistan désapprouv­ent aussi l’approche saoudienne. Encore une nuance que ne saisit pas M. Trump, qui croit plus utile de souffler sur le feu.

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GUY TAILLEFER

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