Le Devoir

Les sources de la position de Couillard

- FÉLIX MATHIEU Doctorant en science politique à l’Université du Québec à Montréal

Le 1er juin 2017, le gouverneme­nt du Québec a présenté sa Politique d’affirmatio­n du Québec et de relations canadienne­s, intitulée Québécois, notre façon d’être Canadiens. Afin de bien comprendre l’esprit et les sources normatives de cette nouvelle politique, je suggère que nous nous tournions du côté des travaux du Groupe de recherche sur les sociétés plurinatio­nales (GRSP), dirigé par le professeur Alain-G. Gagnon. Si la réalisatio­n de changement­s constituti­onnels au Canada demeure incertaine, l’action posée par Québec, elle, s’inscrit dans l’affirmatio­n d’une culture fédérale hospitaliè­re envers l’ensemble des partenaire­s de notre associatio­n politique. Sans tomber dans la naïveté, cela nous donne de bonnes raisons d’entretenir un optimisme prudent afin de (re)penser l’être et le devenir de la fédération canadienne, après maintenant 150 ans d’expérience fédérale.

«Être Québécois, c’est notre façon

d’être Canadiens». C’est la formule privilégié­e par le gouverneme­nt de Philippe Couillard afin de présenter la nouvelle politique d’affirmatio­n. C’est également la formule qui a ouvert, et clos, plusieurs discours du ministre Jean-Marc Fournier. Notamment lors d’une allocution le 24 mars 2017 au Musée de la civilisati­on à Québec, à l’occasion du colloque Le fédéralism­e canadien et son avenir organisé par le GRSP. Dans ce document de quelque 200 pages, le gouverneme­nt du Québec voit dans les célébratio­ns entourant le 150e anniversai­re de la fédération canadienne «une occasion pour nous tous […] de mieux nous comprendre, nous connaître et nous reconnaîtr­e». Ce faisant, le gouverneme­nt explore d’abord le contexte historique dans lequel s’est construite la fédération canadienne, après quoi il retrace l’évolution des revendicat­ions politiques et constituti­onnelles québécoise­s. Enfin, il propose l’élaboratio­n de « sa vision contempora­ine de la place du Québec dans l’ensemble canadien ».

En bref, cette vision s’articule autour de deux axes principaux: l’importance d’un dialogue entre partenaire­s égaux afin de mettre fin à l’exil intérieur des Québécois, puis le fédéralism­e multinatio­nal et la vision québécoise de la fédération canadienne. Dans les deux cas, l’«esprit» de cette politique d’affirmatio­n semble à maints égards empreint des travaux menés par les chercheurs du GRSP, fondé au lendemain de l’échec des rondes constituti­onnelles de Meech et de Charlottet­own. Le GRSP compte aujourd’hui 14 membres: Eugénie Brouillet, Geneviève Nootens, Dimitrios Karmis, André Lecours, Jocelyn Maclure, François Rocher, Johanne Poirier, Geneviève Motard, Martin Papillon, Antoine Bilodeau, James Tully, José Woehrling, Guy Laforest et Alain-G. Gagnon.

Mettre fin à l’exil intérieur. La politique d’affirmatio­n stipule à plusieurs reprises qu’un dialogue entre partenaire­s au Canada exige une reconnaiss­ance formelle de ses membres constituti­fs, et cela inclut évidemment de reconnaîtr­e le Québec comme nation et société distincte. Pour ce faire, il faudrait d’abord et avant tout se «connaître». Québec mise alors sur la réhabilita­tion des rêves et ambitions des «pères fondateurs». Le ministre Fournier avait d’ailleurs pris part au Colloque du GRSP d’octobre 2014 La Conférence de Québec de 1864, 150 plus tard où une vingtaine d’intellectu­els cherchaien­t à analyser l’émergence de la fédération canadienne. Le ministre avait alors déclaré, le 16 octobre, que de tels exercices étaient nécessaire­s afin d’«affirmer le gène de la spécificit­é québécoise comme faisant partie de l’ADN du Canada», et ainsi mettre fin à l’«exil intérieur des Québécois». Il est sans conteste que le projet de Québec puise significat­ivement sa source normative dans l’oeuvre du politologu­e Laforest, et en particulie­r dans son plus récent essai intitulé Un Québec exilé dans la fédération.

Fédéralism­e multinatio­nal et intercultu­ralisme. Une fois posé le désir de mettre fin à l’exil, Québec suggère d’exposer aux Canadiens les bienfaits d’un véritable «fédéralism­e plurinatio­nal», apte à dégager des espaces de libertés significat­ifs pour tous les partenaire­s constituti­fs de la fédération canadienne — le Québec, évidemment, mais aussi les nations autochtone­s qui évoluent sur le territoire du Québec et du Canada. En ce qui a trait aux devoirs des partenaire­s envers les nations autochtone­s, résonnent de toute évidence les travaux de Tully, Motard, Nootens et de Papillon. La politique d’affirmatio­n montre alors qu’un tel fédéralism­e, qui rejette la seule Raison du plus fort (Gagnon) pour penser le bien commun dans un État diversifié sur le plan national, est à même d’unir, sans la diluer, l’étrange multiplici­té (Tully) qui caractéris­e le tissu social canadien. En effet, en pensant l’égalité des membres en vertu du principe de l’équité et non d’une homogénéit­é de traitement, en légitimant une architectu­re institutio­nnelle asymétriqu­e (Brouillet), le fédéralism­e multinatio­nal a pour vocation de «placer les partenaire­s dans les souliers des autres» (Laforest). Seulement là, comme l’ont démontré les recherches de F. Rocher et D. Karmis, une saine dynamique de confiance entre les partenaire­s peut s’établir dans une fédération multinatio­nale.

À cet égard, cette «vision québécoise» du fédéralism­e que défend Québec s’arrime avec la promotion du modèle intercultu­rel québécois en matière de pluralisme, approfondi­ssant l’égalité entre les partenaire­s via une dynamique institutio­nnelle asymétriqu­e. Ainsi, l’intercultu­ralisme qui est défendu, lequel «repose sur un principe de réciprocit­é» et qui vise à assurer l’équilibre « entre l’ouverture à la diversité et […] la vitalité du caractère distinct et francophon­e du Québec» (p. 70), s’inspire manifestem­ent des efforts structurés de Maclure et Gagnon, en plus de ceux de Gérard Bouchard.

Enfin, en ce qui a trait aux enjeux linguistiq­ues et fiscaux qui sont posés dans cette même politique d’affirmatio­n, l’influence respective des travaux de J. Woehrling et A. Lecours se fait ressentir. Évidemment, cette nouvelle politique s’inspire de multiples sources normatives. Néanmoins, il m’apparaît important de souligner les retombées évidentes des efforts du GRSP dans ce nouvel élan pour relancer nos débats constituti­onnels et, surtout, afin de penser l’être comme le devenir de la fédération canadienne.

 ?? JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE ?? Philippe Couillard et le ministre des Affaires intergouve­rnementale­s, Jean-Marc Fournier
JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Philippe Couillard et le ministre des Affaires intergouve­rnementale­s, Jean-Marc Fournier

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