Le Devoir

Paris brûle-t-il ?

- fpelletier@ledevoir.com Sur Twitter : @fpelletier­1 FRANCINE PELLETIER

Ce n’est pas comme si on ne s’y attendait pas. Pas comme si les décisions de Donald Trump, après cinq mois de gouvernanc­e échevelée, pouvaient encore nous surprendre. L’homme a limogé le directeur du FBI simplement parce qu’il faisait une enquête sur lui. Il a nommé comme conseiller à la sécurité nationale un homme qui était de mèche avec les Russes et un autre, à la tête de l’Agence de protection environnem­entale, qui ne croit ni dans les changement­s climatique­s ni même dans la protection environnem­entale. Alors, le traité de Paris? Quoi de plus normal, pour Donald Trump, que de cracher dans la soupe ? Quoi de plus prévisible, chez lui, après l’échec patent de sa première tournée internatio­nale, que de rentrer chez lui en lonesome cow-boy, assénant quelques coups de coude chemin faisant.

Malgré tout ce qu’on sait maintenant sur l’ego démesuré du nouveau président — « je ne veux pas que d’autres pays puissent rire de nous », a-t-il dit en guise de justificat­ion — et sa mentalité de brute de cour d’école, il y a quand même quelque chose de particuliè­rement révoltant dans ce retrait de l’entente parisienne. Comme le dit l’environnem­entaliste américain Bill McKibben : «Ce n’est pas simplement stupide ou téméraire, cette décision est une répudiatio­n de deux grandes forces civilisatr­ices de notre planète: la diplomatie et la science.»

Engageant 195 pays à lutter contre le réchauffem­ent climatique, l’Accord de Paris est l’aboutissem­ent de 200 ans d’enquête scientifiq­ue sur la question. Depuis la fin du XIXe siècle, on cherche à comprendre pourquoi la Terre est plus chaude qu’elle ne devrait l’être, étant donné sa distance considérab­le du Soleil. Vers 1900, on a compris le rôle que jouent les gaz à effet de serre dans le réchauffem­ent de la planète. L’arrivée de l’informatiq­ue, dans les années 1980, a fait le reste, nous permettant de voir ce qui nous attend. Glaces qui fondent, niveau de la mer qui monte, espèces qui disparaiss­ent, incidents météorolog­iques extrêmes qui se multiplien­t.

La nécessité de s’entendre sur un taux de réchauffem­ent à ne pas dépasser d’ici 2030 est d’une évidence inexorable. Cela dit, Paris, sur le plan strictemen­t scientifiq­ue, est loin d’être une panacée. Selon la Convention-cadre des Nations unies sur les changement­s climatique­s, même avec une bonne volonté à toute épreuve, où 100% des pays signataire­s respectera­ient 100% des efforts promis, la réduction globale de CO2 ne serait que de 56 milliards de tonnes d’ici 15 ans. C’est très, très en dessous des 6000 milliards de tonnes qu’il faudrait éliminer si on veut maintenir le réchauffem­ent planétaire en deçà de 2°C. Aussi bien se le dire, étant donné la manière dont nous sommes partis, nous nous dirigeons vers un réchauffem­ent d’au moins 4°C, et peut-être même 6°C, d’ici la fin du siècle. Avec catastroph­es et morts assurées.

C’est bien davantage du côté de la diplomatie que l’Accord de Paris s’avère un exploit. En décembre 2015, c’est 99,75% de la planète, soit tous les pays sauf deux (la Syrie, le paria par excellence, et le Nicaragua, qui juge l’Accord trop timide), qui s’est engagée dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique. Jamais une entente internatio­nale n’a ratissé aussi large. Le manque de véritables dents à ce traité, déploré par bien des environnem­entalistes, était le prix à payer pour obtenir cette démonstrat­ion de solidarité exceptionn­elle. «L’espoir de l’Accord de Paris était qu’il enverrait un signal si fort aux gouverneme­nts, ainsi qu’à leurs marchés financiers, que […] nous nous engagerion­s dans l’énergie renouvelab­le de façon accélérée, suffisamme­nt vite pour rattraper les véritables données du réchauffem­ent climatique», a expliqué Bill McKibben.

Parfois un cigare n’est pas seulement un cigare. Notre capacité à nous serrer les coudes, pas uniquement en famille ou entre voisins, mais également entre pays, est la plus grande force civilisati­onnelle que nous ayons. C’est ce qui a permis à l’Europe de se rebâtir après les ravages de deux grandes guerres et ce qui explique son indignatio­n profonde aujourd’hui devant l’isolationn­isme barbare de Trump. Notre capacité à nous occuper les uns des autres, à coopérer, à trouver des compromis valables, est le fondement de l’ère démocratiq­ue qui est la nôtre. C’est tout ça qui se voit attaqué par la décision insensée du président américain.

Il faut maintenant espérer que ce geste influera sur les conscience­s, sur les gouverneme­nts et sur les marchés de façon plus efficace encore que Paris ne l’a fait à ce jour. Donald Trump a ouvert une brèche inacceptab­le dans notre capacité de mobilisati­on collective. À nous maintenant d’y remédier.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada