Le Devoir

Fossé culturel et abus de pouvoir

Les chefs autochtone­s témoignent de la méconnaiss­ance de leur culture chez les intervenan­ts sociaux

- JESSICA NADEAU

Comme à l’époque des pensionnat­s pour enfants autochtone­s, les intervenan­ts des services sociaux fournis par Québec commettent des «abus de pouvoir» et déresponsa­bilisent les parents en leur imposant la marche à suivre pour élever leurs enfants, dénonce Adrienne Jérôme, chef de la nation anishnabe de Lac-Simon.

« C’est comme les pensionnat­s, soupire Adrienne Jérôme dans un long plaidoyer à la commission Viens, qui se tient à Vald’Or pour faire la lumière sur les relations entre les autochtone­s et les services publics du Québec. On dit aux parents qu’ils sont de mauvais parents, qu’ils ne donnent pas une éducation adéquate à leurs enfants, qu’ils n’ont pas d’habiletés parentales. Les travailleu­rs sociaux ont enlevé tout le pouvoir des parents, qui n’ont plus aucun contrôle sur leurs enfants. Il faut redonner ce pouvoir aux parents. »

Elle affirme notamment que l’on donne du Ritalin — « une vraie bombe à retardemen­t» — aux enfants sans le consenteme­nt des parents.

Flexibilit­é

En écho à la présidente de Femmes autochtone­s du Québec, qui témoignait lundi d’une grande incompréhe­nsion par les intervenan­ts de la réalité des communauté­s autochtone­s, la chef de Lac-Simon réclame plus de flexibilit­é.

«Notre façon de manger est différente. Je n’ai pas vu grand légumes dans mon assiette quand j’étais jeune et j’ai survécu. Aujourd’hui, avec les moyens qu’on a, on ne peut pas tout mettre sur la table. Il y a encore plein d’incompréhe­nsions. C’est le fait d’avoir un frigidaire vide, mais un congélateu­r plein. C’est le fait que nos enfants boivent du lait Carnation, parce que ça coûte moins cher d’acheter ça à la caisse et que tu en as pour tout le mois, alors que la poche de lait de vache dure deux jours. Il faut que les travailleu­rs sociaux fassent un effort pour considérer ça, c’est notre façon à nous de mettre de la nourriture sur la table de nos enfants.»

La chef Adrienne Jérôme parle également de l’importance des jeux traditionn­els, qui sont perçus comme dangereux. «Ce n’est pas dangereux, c’est l’instinct du chasseur que tu développes chez ton enfant, c’est l’instinct de survie! En tant qu’Anishnabe, on a le devoir d’éduquer nos enfants à cet instinct-là.»

Parents parfaits?

Elle affirme que les intervenan­ts de la Direction de la protection de la jeunesse «se donnent beaucoup de pouvoirs, des pouvoirs abusifs», et que ceux-ci «menacent» sans cesse les parents de leur retirer leurs enfants. «Les parents sont découragés, car la barre est trop haute. Ils veulent des parents parfaits, mais personne n’est parfait.»

L’incompréhe­nsion est mutuelle, et les parents hésitent à demander de l’aide dans le cadre de certains programmes qu’ils perçoivent comme « des pièges », précise la chef Adrienne Jérôme.

La confiance est à ce point brisée que celle-ci rapporte des échos de suspicion qui circulent dans le village voulant que la DPJ choisisse « nos plus beaux enfants comme cibles» pour les envoyer en adoption à l’extérieur de la communauté.

À Kitcisakik, un village sans eau ni électricit­é dans la réserve faunique La Vérendrye, la chef Adrienne Anichnapéo se rappelle également des expérience­s difficiles avec les services sociaux.

Au départ, il y avait beaucoup de résistance de la part des parents, affirme-t-elle. Mais, depuis, des tables de concertati­on ont permis de mieux cerner les enjeux et de trouver des solutions.

« On a eu des enfants qui ont été placés et qu’on a perdus, c’était des expérience­s de vie tristes qu’on a eu à vivre de voir des enfants disparaîtr­e dans les services sociaux. On a essayé de trouver du monde dans la communauté pour servir de familles d’accueil et les services sociaux ont été ouverts à ça.»

Il y a quelques années, la communauté a accepté d’embarquer dans un «processus de reconstruc­tion sociale», qui a entraîné son lot de dénonciati­ons, mais qui a été bénéfique pour tous, précise la chef.

« Beaucoup de parents dans ma communauté ont accepté de l’aide et ça s’est mieux passé après, les parents ont repris leurs enfants avec eux. Il y a des histoires à succès, du moins dans ma communauté. »

Mais il reste encore beaucoup de chemin à faire, plaidet-elle. «Des intervenan­ts ont demandé aux enfants de dessiner comment ils voyaient leur avenir. Un dessin m’a marquée: c’était une maison sur pilori, comme on en construit chez nous, avec des fils électrique­s en haut. Alors oui, j’ai quand même espoir qu’un jour ma communauté va avoir son propre village avec de l’électricit­é et de l’eau courante, avec des conditions de vie améliorées.»

 ?? GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR ?? Dans la communauté de Kitcisakik, dans la réserve faunique de la Vérendrye, il n’y a ni électricit­é, ni eau courante. Jusqu’à la constructi­on de l’école primaire, il y a quelques années, les enfant devaient quitter leur parent pour aller à l’école dans...
GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Dans la communauté de Kitcisakik, dans la réserve faunique de la Vérendrye, il n’y a ni électricit­é, ni eau courante. Jusqu’à la constructi­on de l’école primaire, il y a quelques années, les enfant devaient quitter leur parent pour aller à l’école dans...

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