Royaume-Uni Dernier jour de campagne sur fond de terrorisme
La campagne électorale britannique s’est terminée mercredi sur fond de polémique. Dans un dernier blitz qui a amené Theresa May et Jeremy Corbyn à sillonner le pays de long en large afin de conforter leur avance dans les circonscriptions les plus chaudement disputées, les leaders se sont affrontés sur la façon de combattre le terrorisme qui a touché la Grande-Bretagne à trois reprises depuis trois mois.
Alors que les Londoniens viennent toujours déposer des fleurs et des messages personnels aux abords du pont de Londres et du Borough Market, où huit personnes ont été assassinées samedi, la première ministre a martelé son intention de renforcer les lois antiterroristes. À Norfolk, le dernier bastion travailliste de l’est du pays qu’elle entend bien arracher à Jeremy Corbyn, Theresa May a répété qu’elle était prête pour cela à suspendre certaines libertés garanties par les tribunaux.
La première ministre veut alourdir les peines infligées aux terroristes, faciliter l’expulsion des étrangers suspects et restreindre la liberté de mouvement des individus considérés comme dangereux. Elle pourrait ainsi rétablir les assignations à résidence qui avaient été utilisées de 2006 à 2011. «Et si les lois garantissant les droits de la personne nous en empêchent, je les changerai pour nous le permettre», avait-elle tranché la veille.
Manque de policiers
Alors que les révélations se multiplient sur les trois djihadistes du pont de Londres, dont deux étaient connus pour leur radicalisme et avaient été signalés aux services de renseignement, la première ministre doit répondre à des questions de plus en plus insistantes sur l’action des services policiers. Les travaillistes lui reprochent tout particulièrement d’avoir réduit les effectifs pendant les six ans où elle a dirigé le ministère de l’Intérieur, même si les budgets de la lutte antiterroriste ont été préservés. Selon le très populaire maire de Londres, Sadiq Khan, à qui est largement due l’extraordinaire popularité des travaillistes à Londres, la ville pourrait perdre 13 000 policiers à cause des réductions de budget des conservateurs.
À gauche, on crie au «démantèlement des droits de la personne » (The Guardian). «On ne vaincra pas le terrorisme en rognant nos droits fondamentaux et notre démocratie, a déclaré Jeremy Corbyn à la BBC mercredi matin ; on vaincra le terrorisme par nos communautés, par notre vigilance et l’action de la police pour isoler et emprisonner ceux qui nous font du mal.»
Plusieurs anciens ministres ont rappelé que, lorsqu’elle était ministre de l’Intérieur, Theresa May s’était opposée aux propositions musclées de David Cameron et Michael Gove, craignant la stigmatisation des musulmans. Dans une intervention inusitée en cette fin de campagne, des représentants de la Cour européenne des droits de l’homme ont affirmé que, si la Grande-Bretagne voulait suspendre certains articles de la Charte européenne des droits (que May s’est engagée à conserver même après le Brexit), elle devrait déclarer l’état d’urgence.
Corbyn «ami de l’IRA»?
À 24 heures du vote, le Telegraph a révélé que Jeremy Corbyn avait été surveillé par les services de renseignement britanniques pendant vingt ans. On le considérait comme une menace à la sécurité du pays, affirme le quotidien. À cette époque, le militant d’extrême gauche entretenait des liens avec l’IRA, qui commettait des attentats en Angleterre. Il avait même été expulsé d’un débat sur le terrorisme à la Chambre des communes. «Le leader conservateur a combattu les terroristes, alors que Corbyn a fraternisé avec eux », écrit l’ancien ministre conservateur Michael Gove dans le Telegraph.
Dans cette dernière ligne droite, mercredi, Theresa May est allée conforter ses partisans dans des circonscriptions travaillistes du Midland et d’East Anglia où elle en a appelé au patriotisme de chacun. Depuis une semaine, elle ratisse systématiquement les circonscriptions travaillistes qui ont largement voté pour le Brexit et où le parti anti-européen UKIP était très populaire. Le leader travailliste a notamment sillonné l’Écosse et le pays de Galles.
Retour au bipartisme
Dans cette élection qui annonce un retour du bipartisme en Angleterre, le seul petit parti qui semble tirer son épingle du jeu est le SNP. On s’attend à ce que les indépendantistes écossais balaient à nouveau la province. Aux dernières élections, le SNP n’avait laissé que trois sièges aux travaillistes. Quant au vote de UKIP, il pourrait s’effondrer maintenant que le peuple a tranché. Les libéraux démocrates, très pro-européens, semblent avoir peu de chances de se remettre de leur déroute de 2015.
Même si l’écart entre May et Corbyn s’est resserré depuis deux semaines, pratiquement aucun sondage n’a prédit de victoire travailliste. Dans The Guardian, Anne Perkins rappelle qu’en 2015 les sondages serrés n’avaient pas empêché David Cameron de l’emporter facilement. «L’avenir de Corbyn dépendra du résultat de jeudi. Mais même avec un bon résultat, le Parti travailliste aura des problèmes, estime le chroniqueur Nick Cohen. La gauche de Corbyn aura de la difficulté à contrôler le parti et à imposer sa ligne radicale.» Pour demeurer chef, dit-il, Corbyn devra améliorer les scores d’Ed Miliband (30%) et de Gordon Brown (29 %).
Si May obtient une majorité entre 60 et 70 députés, ce sera une belle victoire. Si elle est en dessous de 40, ce sera «problématique», dit le journaliste Matthew Parris, ancien député conservateur. Selon lui, même si elle remportait son pari jeudi, «Theresa May aura tout de même été égratignée dans cette campagne» où rien ne s’est passé comme prévu. Elle sera en quelque sorte «en probation».