Victoire amère pour Theresa May
Les conservateurs l’emportent avec une majorité réduite
Après une campagne en dents de scie, Theresa May n’aura finalement pas remporté son pari. À l’aube des négociations du Brexit, la première ministre voulait s’assurer une majorité «forte et stable» en déclenchant ces élections anticipées. Au moment d’écrire ces lignes, les conservateurs devaient perdre une vingtaine de sièges et se retrouver avec une majorité réduite comparativement à celle qu’ils détenaient à la dissolution du Parlement. Les sièges de plusieurs ministres seraient en jeu.
Comble de l’humiliation, selon les sondages de sortie des urnes, les conservateurs ne devraient pas retrouver, à quelques députés près, la majorité absolue qu’ils détenaient pourtant à la clôture du Parlement. La première ministre sort considérablement affaiblie de cet échec qualifié à Londres de « monumental ». Elle risque de devoir gouverner avec les voix des unionistes d’Irlande du Nord.
«Quel que soit le résultat final, notre campagne positive a changé la politique pour le meilleur », a tweeté le leader travailliste Jeremy Corbyn.
Même s’ils essuient une troisième défaite consécutive en sept ans, les travaillistes augmentent leur représentation d’une trentaine de sièges. Porté par l’aile la plus radicale du parti, Jeremy Corbyn peut se féliciter d’avoir accru sa proportion du vote populaire par rapport à ses prédécesseurs, Ed Miliband et Gordon Brown. Crédité de 24 points d’écart avec Theresa May il y a deux mois à peine, il a largement comblé son retard, même si le pouvoir est toujours hors de portée. Les travaillistes ont tout particulièrement amélioré leurs résultats dans les régions qui ont voté contre le Brexit ainsi que dans les villes universitaires. Le programme travailliste propose en effet la suppression des droits de scolarité à l’université.
À l’inverse, Theresa May a mieux fait dans les circonscriptions qui ont voté pour le Brexit et où elle a récupéré une partie du vote du parti anti-européen UKIP. Mais probablement pas suffisamment pour lui assurer une victoire décisive. Ces résultats surviennent après une campagne totalement inédite marquée par deux attentats terroristes, à Manchester et au pont de Londres.
Cette véritable rebuffade infligée aux conservateurs risque surtout de mettre à mal la stratégie de Theresa May, qui cherchait un mandat fort pour négocier avec Bruxelles. Selon l’ancien stratège de Tony Blair, Alastair Campbell, cette élection est «un rejet de May et d’un Brexit dur ».
L’échec est tel que la première ministre pourrait rapidement faire face à une bronca dans son propre parti. L’ancien chancelier de l’Échiquier, George Osborne, congédié par Theresa May, a dit douter qu’elle «survive à terme comme leader du Parti conservateur». Déjà, dans la nuit de jeudi à vendredi, les critiques commençaient à fuser. Selon le quotidien de droite The Telegraph, plusieurs personnalités conservatrices dénoncent des «erreurs stratégiques fondamentales » et une campagne fondée sur « le culte de la personnalité». «C’est mauvais, plus que mauvais, disait l’un d’eux. Ses conseillers devraient franchir la porte et ne plus jamais revenir, quel que soit le résultat final.» De l’avis de tous les analystes, Theresa May a mené une campagne épouvantable, évitant les débats avec son adversaire et se retrouvant même obligée de revenir sur certaines propositions de son programme. Selon l’ancien leader de UKIP Nigel Farage, dans cette campagne, la première ministre a paru « peu sincère et robotique ».
Pour le reste, la Grande-Bretagne semble revenue au bipartisme. Avec environ 14 députés, les libéraux démocrates ne se remettent pas vraiment de leur échec de 2015. L’ancien leader Nick Clegg a perdu son siège. Dans son discours d’adieu, il a décrit un pays « profondément divisé ». Le chef Tim Farron a annoncé qu’il ne reformerait pas de coalition avec les conservateurs comme en 2010, le parti étant radicalement opposé au Brexit.
En Écosse, les indépendantistes du SNP n’ont pas répété leur balayage de 2015, qui n’avait laissé que trois circonscriptions aux travaillistes. Ils perdraient même une vingtaine de députés, ce qui pourrait affaiblir la perspective d’un second référendum souhaité par la première ministre Nicola Sturgeon. Longtemps bannis de la carte électorale écossaise, les conservateurs ont considérablement accru leur vote dans le sud de la province.
Selon le journaliste Matthew Parris, ancien député conservateur, Theresa May n’aurait jamais dû provoquer cette élection, qui se tenait à une dizaine de jours du début des négociations du Brexit, alors que la décision d’appliquer l’article 50, lançant le processus de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, avait de toute façon été prise. Selon lui, il aurait été plus légitime de déclencher ces élections « immédiatement après avoir succédé à David Cameron ».
À gauche, on estimait que les radicaux, jusque-là très contestés, qui ont porté Jeremy Corbyn à la tête du parti étaient là pour rester. Pour plusieurs, le succès relatif de Jeremy Corbyn signe la fin définitive chez les travaillistes de l’ère libérale incarnée par Tony Blair.
Dès la publication des sondages de sortie des urnes, la livre sterling a aussitôt chuté par rapport au dollar américain. La participation, proche de 70 %, a augmenté de 3 %, ce qui s’expliquerait notamment par les nombreux jeunes qui se sont déplacés pour soutenir Jeremy Corbyn.