Le Devoir

Victoire amère pour Theresa May

Les conservate­urs l’emportent avec une majorité réduite

- CHRISTIAN RIOUX à Londres

Après une campagne en dents de scie, Theresa May n’aura finalement pas remporté son pari. À l’aube des négociatio­ns du Brexit, la première ministre voulait s’assurer une majorité «forte et stable» en déclenchan­t ces élections anticipées. Au moment d’écrire ces lignes, les conservate­urs devaient perdre une vingtaine de sièges et se retrouver avec une majorité réduite comparativ­ement à celle qu’ils détenaient à la dissolutio­n du Parlement. Les sièges de plusieurs ministres seraient en jeu.

Comble de l’humiliatio­n, selon les sondages de sortie des urnes, les conservate­urs ne devraient pas retrouver, à quelques députés près, la majorité absolue qu’ils détenaient pourtant à la clôture du Parlement. La première ministre sort considérab­lement affaiblie de cet échec qualifié à Londres de « monumental ». Elle risque de devoir gouverner avec les voix des unionistes d’Irlande du Nord.

«Quel que soit le résultat final, notre campagne positive a changé la politique pour le meilleur », a tweeté le leader travaillis­te Jeremy Corbyn.

Même s’ils essuient une troisième défaite consécutiv­e en sept ans, les travaillis­tes augmentent leur représenta­tion d’une trentaine de sièges. Porté par l’aile la plus radicale du parti, Jeremy Corbyn peut se féliciter d’avoir accru sa proportion du vote populaire par rapport à ses prédécesse­urs, Ed Miliband et Gordon Brown. Crédité de 24 points d’écart avec Theresa May il y a deux mois à peine, il a largement comblé son retard, même si le pouvoir est toujours hors de portée. Les travaillis­tes ont tout particuliè­rement amélioré leurs résultats dans les régions qui ont voté contre le Brexit ainsi que dans les villes universita­ires. Le programme travaillis­te propose en effet la suppressio­n des droits de scolarité à l’université.

À l’inverse, Theresa May a mieux fait dans les circonscri­ptions qui ont voté pour le Brexit et où elle a récupéré une partie du vote du parti anti-européen UKIP. Mais probableme­nt pas suffisamme­nt pour lui assurer une victoire décisive. Ces résultats surviennen­t après une campagne totalement inédite marquée par deux attentats terroriste­s, à Manchester et au pont de Londres.

Cette véritable rebuffade infligée aux conservate­urs risque surtout de mettre à mal la stratégie de Theresa May, qui cherchait un mandat fort pour négocier avec Bruxelles. Selon l’ancien stratège de Tony Blair, Alastair Campbell, cette élection est «un rejet de May et d’un Brexit dur ».

L’échec est tel que la première ministre pourrait rapidement faire face à une bronca dans son propre parti. L’ancien chancelier de l’Échiquier, George Osborne, congédié par Theresa May, a dit douter qu’elle «survive à terme comme leader du Parti conservate­ur». Déjà, dans la nuit de jeudi à vendredi, les critiques commençaie­nt à fuser. Selon le quotidien de droite The Telegraph, plusieurs personnali­tés conservatr­ices dénoncent des «erreurs stratégiqu­es fondamenta­les » et une campagne fondée sur « le culte de la personnali­té». «C’est mauvais, plus que mauvais, disait l’un d’eux. Ses conseiller­s devraient franchir la porte et ne plus jamais revenir, quel que soit le résultat final.» De l’avis de tous les analystes, Theresa May a mené une campagne épouvantab­le, évitant les débats avec son adversaire et se retrouvant même obligée de revenir sur certaines propositio­ns de son programme. Selon l’ancien leader de UKIP Nigel Farage, dans cette campagne, la première ministre a paru « peu sincère et robotique ».

Pour le reste, la Grande-Bretagne semble revenue au bipartisme. Avec environ 14 députés, les libéraux démocrates ne se remettent pas vraiment de leur échec de 2015. L’ancien leader Nick Clegg a perdu son siège. Dans son discours d’adieu, il a décrit un pays « profondéme­nt divisé ». Le chef Tim Farron a annoncé qu’il ne reformerai­t pas de coalition avec les conservate­urs comme en 2010, le parti étant radicaleme­nt opposé au Brexit.

En Écosse, les indépendan­tistes du SNP n’ont pas répété leur balayage de 2015, qui n’avait laissé que trois circonscri­ptions aux travaillis­tes. Ils perdraient même une vingtaine de députés, ce qui pourrait affaiblir la perspectiv­e d’un second référendum souhaité par la première ministre Nicola Sturgeon. Longtemps bannis de la carte électorale écossaise, les conservate­urs ont considérab­lement accru leur vote dans le sud de la province.

Selon le journalist­e Matthew Parris, ancien député conservate­ur, Theresa May n’aurait jamais dû provoquer cette élection, qui se tenait à une dizaine de jours du début des négociatio­ns du Brexit, alors que la décision d’appliquer l’article 50, lançant le processus de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, avait de toute façon été prise. Selon lui, il aurait été plus légitime de déclencher ces élections « immédiatem­ent après avoir succédé à David Cameron ».

À gauche, on estimait que les radicaux, jusque-là très contestés, qui ont porté Jeremy Corbyn à la tête du parti étaient là pour rester. Pour plusieurs, le succès relatif de Jeremy Corbyn signe la fin définitive chez les travaillis­tes de l’ère libérale incarnée par Tony Blair.

Dès la publicatio­n des sondages de sortie des urnes, la livre sterling a aussitôt chuté par rapport au dollar américain. La participat­ion, proche de 70 %, a augmenté de 3 %, ce qui s’expliquera­it notamment par les nombreux jeunes qui se sont déplacés pour soutenir Jeremy Corbyn.

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PAUL FAITH AGENCE FRANCE-PRESSE Les travailleu­rs d’élection continuaie­nt à dépouiller les bulletins de vote au milieu de la nuit.

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