Les mensonges du président
L’ex-patron du FBI maintient ses accusations contre Donald Trump
Le gouvernement américain se retrouve enfoncé encore un peu plus dans une situation complexe et délicate après le témoignage accablant livré jeudi au Sénat par James Comey, ancien directeur du FBI.
Il s’agit certainement d’un moment embarrassant pour Donald Trump, qui en a vu d’autres. Reste à savoir si les révélations de l’ancien premier policier du pays vont constituer une étape charnière vers encore plus de tracas, voire une éventuelle destitution du président s’il est reconnu coupable d’obstruction à la justice.
James Comey a passé la matinée de jeudi devant le comité du Sénat sur le renseignement. Dans ses déclarations extraordinaires, il a notamment accusé le président d’avoir tenté de faire obstruction à une enquête sur un de ses anciens conseillers à la sécurité.
Il a ajouté que Donald Trump l’avait dénigré et avait menti à son sujet et sur le FBI. Il a aussi mis en garde contre l’ingérence russe dans la démocratie américaine, tout en réservant les détails sur les moyens de cette manipulation pour la portion à huis clos devant les sénateurs en après-midi.
L’ex-directeur a rappelé qu’il avait été nommé pour dix ans tout en sachant qu’il pouvait être congédié à n’importe quel moment. Il restait six années à son mandat au moment de son
renvoi, d’ailleurs appris par le truchement de la télévision. Jusque-là, M. Trump lui avait toujours affirmé sa confiance.
«Ça n’avait aucun sens pour moi, a-t-il dit. Et après, le gouvernement a choisi de dénigrer mon travail. C’était des mensonges, tout simplement.»
Dans sa réplique, par l’entremise de son avocat personnel, Donald Trump a trouvé matière à se réjouir dans le témoignage de l’ancien policier en chef, puisqu’il a bel et bien dit aux sénateurs que le président ne faisait l’objet d’aucune enquête. Le procureur de M. Trump s’est par contre désolé d’entendre l’ex-directeur du FBI avouer qu’il avait lui-même divulgué des informations à un média.
Le témoignage
Dans son témoignage de près de trois heures, l’ex-directeur du Federal Bureau of Investigation, soulagé des contraintes de sa fonction, a maintenu que le président avait fait pression sur lui pour influer sur une enquête en cours concernant les accointances russes de son conseiller, le lieutenant-général Michael Flynn, qui a depuis démissionné. M. Comey a attribué son congédiement à cette enquête. Il a avoué avoir révélé lui-même de l’information à un média pour déclencher une enquête indépendante.
« Il ne vous a pas demandé de laisser tomber », a répliqué au témoin le républicain James Rich. « Il a dit : “J’espère que [I hope]…” » Le sénateur a ajouté que jamais personne n’avait été inculpé pour obstruction à la justice pour avoir souhaité quelque chose.
M. Comey s’est dit d’accord, mais il a tout de même « reçu ces mots comme une directive » et a avoué avoir été « sonné » par la demande. Il a refusé de tirer des conclusions légales de cette situation, renvoyant ce problème à l’enquêteur spécial Robert Mueller, maintenant chargé de l’enquête.
Kamala Harris, démocrate de Californie, a répliqué que «quand un voleur vous met un revolver sur la tempe et vous dit “J’espère que tu vas me donner ton argent”, vous comprenez très bien ce qui se passe ».
M. Comey a aussi répété que la profonde ingérence russe dans les dernières élections présidentielles était sans précédent. «Les Russes sont intervenus dans notre élection, a-t-il dit. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Ils l’ont fait avec force et volonté en utilisant de puissants moyens.»
Le sénateur démocrate Jack Reed en a rajouté en parlant d’«une des plus sérieuses attaques contre notre démocratie de notre histoire ». Il a aussi jugé que le président Trump ne prend pas cette situation au sérieux.
L’ex-patron du FBI a finalement souhaité que des bandes d’enregistrement de ses conversations en tête-à-tête avec le président existent et soient maintenant divulguées. L’existence même de ces bandes, évoquée dans un tweet du président, n’est pas confirmée. «Mon Dieu, j’espère qu’il y a des enregistrements», dit M. Comey.
Bref, tout son témoignage soulève la question de l’obstruction à la justice de la part du chef de la Maison-Blanche. Une telle intervention serait une cause de destitution. Le prestigieux témoin n’a pas voulu commenter cet aspect de l’affaire.
La réplique
La réplique est venue par l’entremise de l’avocat Marc Kasowitz, procureur personnel du président. Il a lu une déclaration d’environ cinq minutes dans laquelle il se réjouit d’avoir entendu M. Comey dire que le président n’était pas visé par les enquêtes du FBI en cours sur l’ingérence russe et qu’il n’existe « aucune preuve qu’un seul vote a été changé à la suite d’une quelconque intervention russe».
La déclaration nie que le président a fait pression sur M. Comey pour orienter l’enquête sur le général Flynn. Elle nie aussi que Donald Trump a exigé la loyauté du directeur du FBI dans le sens où il aurait cherché à influer sur les enquêtes. Le procureur se désole finalement du coulage des mémos vers les médias par le policier en chef lui-même.
«En somme, il est maintenant établi que le président n’a pas fait l’objet d’une enquête pour avoir tenté d’entraver cette enquête [sur les collusions russes], dit la déclaration. Comme le Comité l’a souligné aujourd’hui, ces faits importants à porter à la connaissance du pays sont pratiquement les seuls faits qui n’ont pas été divulgués pendant le long cours des événements. »
Rien n’assure que le reste du pays va retenir cette lecture plutôt optimiste. Si Donald Trump pensait se débarrasser d’un grave problème en congédiant James Comey il y a six semaines, l’objectif est magistralement raté. La situation semble s’embrouiller encore un peu plus. Et à partir de maintenant, la patate brûlante passe dans le camp du procureur spécial Robert Mueller, chargé de faire la lumière sur l’ensemble.