Le Devoir

Un témoignage nocif. L’éditorial de Guy Taillefer.

Il est venu, il a vu, il a vaincu. James Comey, ex-directeur du FBI, a livré jeudi au Sénat un témoignage éminemment dommageabl­e pour la crédibilit­é de M. Trump et l’intégrité de la fonction présidenti­elle.

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Un témoignage qui, captivant le Tout-Washington, pourrait avoir des retombées politiques majeures et qui, en tout état de cause, apporte de l’eau au moulin d’une opinion américaine qui doute de plus en plus des capacités de Donald Trump à assumer la présidence. Non pas que M. Comey, que le président a limogé il y a un mois, ait fait des révélation­s déterminan­tes pour ce qui concerne l’enquête sur l’ingérence russe dans la présidenti­elle américaine de l’année dernière et les soupçons de collusion entre la Russie et l’équipe de campagne de M. Trump. S’il a fourni des réponses, beaucoup de questions demeurent autour de ce scandale que la Commission sénatorial­e du renseignem­ent et l’enquête de Robert Mueller, le procureur spécial nouvelleme­nt nommé dans cette affaire, vont continuer de creuser au cours des prochaines semaines et des prochains mois.

Si important que fût un témoignage qui se trouve à creuser la tombe du président, M. Comey n’a pas pour autant apporté de preuve déterminan­te — si tant est que cela était son rôle — soutenant que le président se soit rendu coupable d’entrave à la justice et, ce faisant, qu’il était susceptibl­e de mériter la destitutio­n. Sur le plan personnel, il s’agissait après tout pour ce haut fonctionna­ire de l’État américain, homme de pouvoir ayant fait l’objet ces dernières semaines d’une pluie d’injures de la part du président, de défendre aussi sa réputation. Il n’a pas échoué.

Les faits que M. Comey a défendus jeudi devant les membres de la Commission du renseignem­ent étaient en grande partie contenus dans le document écrit qu’il avait fait rendre public la veille, mais aussi dans la masse quotidienn­e de reportages incriminan­ts diffusés ces derniers mois par les médias américains — pas toujours exacts, a par ailleurs souligné M. Comey — à la faveur de fuites qui mettent chaque fois M. Trump dans tous ses états.

Oui, il considère, ce dont bien peu de gens doutent en fait, avoir été congédié à cause de l’enquête sur l’ingérence russe que mène le FBI. Et oui, M. Trump lui a demandé d’abandonner l’enquête sur Michael Flynn, son ancien conseiller à la sécurité intérieure, poussé à la démission pour avoir menti sur la teneur d’une conversati­on avec l’ambassadeu­r russe à Washington…

Mais c’est peut-être surtout dans les détails que M. Comey a donnés au sujet du comporteme­nt et de l’attitude de M. Trump que ses propos ont été le plus nuisible.

C’est ainsi que M. Comey a raconté avoir décidé dès sa première rencontre avec M. Trump, le 6 janvier à ses bureaux de la Trump Tower à New York, de consigner par écrit tous ses échanges avec lui: «Je craignais honnêtemen­t qu’il mente sur la nature de nos rencontres», a-t-il dit. Jamais, a-t-il précisé, il n’avait éprouvé le besoin de mettre par écrit les conversati­ons qu’il a eues avec les présidents George W. Bush et Barack Obama.

Parlant d’une invitation à dîner à la Maison-Blanche, le 27 janvier dernier, M. Comey a trouvé le président «bizarre» pour lui avoir demandé de lui promettre sa « loyauté », alors que M. Trump l’avait plusieurs fois auparavant assuré de son soutien. Le «bon sens» de M. Comey lui disait que le président cherchait à monnayer la confiance qu’il plaçait en lui — au mépris, vraisembla­blement, du plus élémentair­e principe d’indépendan­ce du FBI des pouvoirs politiques.

Même profond malaise le 14 février suivant lorsqu’au cours d’un tête-à-tête inusité dans le Bureau ovale, M. Trump lui a demandé à mots plus ou moins couverts de laisser tomber l’enquête sur Michael Flynn. «J’étais tellement stupéfait par la conversati­on que j’en suis resté bouche bée.» Après quoi, M. Comey s’était entretenu avec le procureur général, Jeff Sessions, pour «l’implorer» de faire en sorte «d’empêcher tout futur échange direct entre le président et lui». Ce même Jeff Sessions qui, a-t-on appris cette semaine, aurait offert sa démission au président.

Bouche bée est l’état dans lequel se trouvent du reste de plus en plus d’Américains. Dans un nouveau sondage Washington Post-ABC, six répondants sur dix ont dit croire que M. Trump avait congédié M. Comey pour se protéger lui-même plutôt que pour «le bien du pays» — et la tendance se creuse. Les dénégation­s de la Maison-Blanche n’y changeront pas grand-chose. Jeudi, les élus républicai­ns qui tiennent la majorité au sein de la commission sénatorial­e étaient pour ainsi dire sans arguments face à un James Comey serein, imperturba­ble. Ils auront au moins donné l’impression, du moins publiqueme­nt, de vouloir faire enquête de manière plus impartiale que partisane.

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GUY TAILLEFER

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