Les effets pervers du cinéma subventionné
Je veux commencer par féliciter Patrick Huard pour son Bon cop bad cop 2. Il n’est pas évident de produire une suite à un immense succès. Plus d’un million la première semaine au box-office, puis plus de quatre millions la troisième semaine, c’est rare! J’espère que l’Europe l’aimera aussi.
Mais les salles de cinéma se gardent environ 80% des recettes, le reste revenant à la production et à ses investisseurs. Je ne sais pas quel était le budget de production, mais j’imagine que ce 20% ne couvre même pas le salaire du producteur…
Le Québec étant un pays sous-peuplé, le financement public pour notre cinématographie nationale est essentiel pour sa survie, mais les effets pervers de la méthode de fonctionnement nous plongent dans un cul-de-sac.
Premier effet pervers: la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et Téléfilm Canada ne financent pas les créateurs, mais les businessmen. Au Québec, les producteurs ne vivent pas des profits que génèrent leurs films, mais d’un salaire issu du budget de production subventionné à 95%. Ils n’assument aucun risque. Ils n’investissent pas leur argent personnel dans le film, mais ils prennent 10% du budget et s’allouent un autre 10% en frais d’administration. Ceci explique pourquoi ils ne veulent pas faire un film avec moins que 3 millions de dollars.
Par conséquent, le succès financier d’un film n’est pas important pour les producteurs. Ce qui est important, c’est de tourner un autre film, car, si jamais le film est un succès outremer, ce sera le distributeur qui empochera, un distributeur qui, lui aussi, encaissera des enveloppes gouvernementales.
Deuxième effet pervers: les budgets gouvernementaux pour l’ensemble du cinéma n’augmentent pas au rythme de l’inflation. On fait de moins en moins de films chaque année et les salaires des artisans et des techniciens n’ont connu aucune hausse depuis 25 ans. Aussi, le peu de productions que le Québec peut se payer est réser vé, à hauteur de 80 %, à quelques producteurs vedettes de notre microculture ; le 20% restant est distribué aux 300 petits producteurs. Il faut noter que la paperasse exigée par les instances est la même, peu importe que vous receviez 7 millions ou 7000 $.
Troisième effet pervers: contrairement aux autres pays où une vente télé couvre la majeure partie du budget de production, une vente télé ici pour un long métrage va rapporter entre 6000$ et 15 000$. Parce que les films sont subventionnés, pourquoi les chaînes de télé privées ou publiques payeraient-elles ledit film? De plus, les exigences en diffusion du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), comme les versions multiples, dont le sous-titrage pour les malentendants, par exemple, peuvent gonfler une facture de plus de 25 000 $. Un cinéaste indépendant (lire : un producteur non subventionné) doit tout payer de sa poche, même la diffusion de son film. Cela serait bien si, comme dans d’autres pays, un cinéaste pouvait faire un profit avec une vente télé puisque les salles de cinéma rapportent peu, quand ce n’est pas rien du tout.
Lorsqu’un projet est tué dans l’oeuf, le fonctionnaire peut justifier sa décision en affirmant du haut de sa grande expertise que le projet n’était pas viable. Or la plupart des productions pour lesquelles l’État verse 80 millions par an ne connaissent pas le succès. Et le talent de nos créateurs québécois n’est souvent pas encouragé en raison de notre système de discrimination financière.
Les politiques de financement du cinéma canadien et québécois ont fait en sorte que les fonctionnaires se sont donné la plus grande latitude décisionnelle possible, non seulement sur ce qui sera produit, mais aussi sur le contenu des scénarios. Combien de bonnes idées ont été retravaillées et édulcorées au goût des fonctionnaires, jusqu’au point de les rendre inintéressantes et semblables aux autres? Il faut comprendre qu’un fonctionnaire est un être frileux par nature et qu’il ne va pas cautionner un projet proposé par un inconnu ou un projet qui est avant-gardiste. Il préférera subventionner une recette éprouvée, comme Séraphin, Les Bougon ou Bon cop bad cop 2.
Là est tout le problème. C’est une forme de censure en douceur.
Cette situation de monopole décisionnel, où tous les films faits ici doivent être financés par les gouvernements, à défaut de quoi ils ne peuvent être diffusés, est une atteinte à la liberté d’expression et une censure systématique. Il y a 30 ans, quand j’ai commencé à faire des films, je caressais l’illusion que la SODEC et Téléfilm étaient là pour nous aider et non pas pour nous mettre des bâtons dans les roues. Or seule l’aide au cinéma indépendant de l’Office national du film est vraiment là pour nous. Mais pour combien de temps?
Le succès financier d’un film n’est pas important pour les producteurs. Ce qui est important, c’est de tourner un autre film.