Trump n’invente rien en matière de protectionnisme
Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des ÉtatsUnis, plusieurs ont souligné son programme économique à caractère protectionniste et montré du doigt le danger qu’il représentait pour les accords de libéralisation du commerce réalisés depuis les deux dernières décennies, notamment l’ALENA. Or on oublie souvent que, bien avant l’arrivée du président américain à la Maison-Blanche, le protectionnisme, pratiqué sous différentes formes, faisait partie du paysage économique dans la grande majorité des États du G20.
Même si l’émergence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au milieu des années 1990 devait baliser les échanges internationaux sous un régime libre, équitable et juste, la tentation du protectionnisme ne s’est jamais dissipée. D’ailleurs, cela n’a pas empêché Warren Christopher, alors secrétaire d’État américain dans le gouvernement de Bill Clinton, de remettre les pendules à l’heure dès son arrivée en poste en précisant que la sécurité économique américaine sera la principale orientation de la politique étrangère de son pays.
Cette réticence s’est manifestée de manière éclatante quelques années plus tard, lors du premier round de négociations en 2001, celui du cycle de Doha. Ce dernier s’était soldé par un cuisant échec, notamment à cause de la volonté quasi obsessive des États-Unis et de l’Union européenne de continuer à verser de généreux subsides à leurs producteurs agricoles. Et même si l’accord conclu à Bali en 2013 peut représenter une forme de sortie honorable, il n’en représente pas moins un minimum dans les circonstances: un pays peut toujours imposer des nouvelles mesures et en éliminer des anciennes en même temps, si bien que rien n’avance concrètement.
Mais le renforcement protectionniste le plus spectaculaire est venu avec la grave crise financière de 2008-2009. Devant l’ampleur des défis économiques posés par cette crise, de nombreux États en ont profité pour regarnir leur arsenal protectionniste. Cela passait souvent par des formules subtiles, souvent nationalistes et renvoyant à la préservation des intérêts nationaux: comme le «Buy American Act» aux États-Unis ou encore le «Put British Workers First» au Royaume-Uni, pour ne citer que celles-là.
Alerte à l’OMC
Cette montée du protectionnisme dans les dernières années a d’ailleurs été dénoncée régulièrement par bon nombre d’organisations, dont le FMI, l’OCDE et l’OMC. Cette dernière en particulier a publié un rapport accablant, il y a environ un an, à quelques semaines seulement du couronnement de Donald Trump à la convention républicaine de juillet 2016. L’OMC y soulignait, par la voix de son directeur général Roberto Azevêdo, l’étendue des mesures restrictives qui se sont multipliées depuis 2009 et qui continuent avec une plus grande intensité encore aujourd’hui. Plus de 2000 mesures ont été introduites pendant la période 2009-2016 et, pour la seule année 2015-2016, la moyenne par mois a été de 22 mesures: un sommet depuis 2011. Cela sans compter les pratiques monétaires déloyales (comme celles de la Chine, en ce qui concerne la réelle valeur du yuan, souvent décriées par les États-Unis, entre autres) ainsi que la prolifération de blocs économiques régionaux. Aujourd’hui, dans une certaine mesure, ces derniers représentent ni plus ni moins qu’une forme de «protectionnisme d’équipe» à l’endroit d’autres nations du globe.
Le bon dosage
En ce sens, ce à quoi on assiste depuis l’arrivée du président Trump, ce n’est pas au réveil du protectionnisme puisque, comme on le constate, il était déjà dans l’air depuis plusieurs années. Ce qui a changé, c’est plutôt cette nouvelle conception des rapports économiques internationaux qui est la sienne: une conception farouchement guerrière et binaire, qui rappelle étrangement la période mercantiliste lointaine des XVIe et XVIIe siècles.
Il est vrai que le système d’économie libérale suppose d’emblée une certaine forme de «guerre» par le truchement de son ancrage principal: la compétition entre les différents joueurs, les États. Cependant, encore faut-il s’assurer du bon dosage, du juste équilibre dans l’usage des moyens à déployer dans cette «guerre», dans ce «jeu».
Il faut que le résultat final soit «gagnant-gagnant» pour que tous puissent y trouver leur compte. Sinon, on reviendrait à des formes de relations commerciales similaires à celles de la grande dépression des années 1930: des pays recroquevillés sur eux-mêmes et un commerce international avec des échanges au point neutre.
C’est cette dynamique que Donald Trump n’a visiblement pas comprise. Faut-il encore s’en étonner?