Le Devoir

« Papa Obama »

- FABRICE VIL

Mise en garde: j’écris cette chronique avec un parti pris largement favorable à Obama, parti pris d’autant plus fort que j’ai eu la chance inouïe de le rencontrer et d’échanger brièvement avec lui lors de sa visite.

Ceci étant dit, le discours d’Obama que j’attendais tant m’a laissé sur ma faim, comme ce fut le cas pour plusieurs des 6000 personnes rassemblée­s au Palais des congrès. Je m’attendais aux envolées lyriques inspirante­s des grands discours du 44e président des États-Unis. Nous avons eu droit à un cours de l’ancien professeur de Harvard. Un cours néanmoins magistral, au sens littéraire et littéral, dont j’ai tenté de saisir pleinement la profondeur et la sagesse par un second visionneme­nt en ligne.

Même si Obama n’est plus officielle­ment en fonction, il exerce encore un leadership présidenti­el en raison de l’élection de Donald Trump, qu’Obama le veuille ou non. Les tenants de l’ordre libéral internatio­nal se tournent vers lui afin de contribuer à maintenir leur hégémonie fragile. Ainsi, il semble qu’Obama sera condamné à défendre cet ordre tant et aussi longtemps que son successeur sera un individu aux antipodes de ses croyances. C’est ce qui explique, notamment, sa sortie encouragea­nt l’élection d’Emmanuel Macron il y a quelques semaines. L’élection de Hillary Clinton aurait mené à un scénario différent.

Lors de son discours, Obama a défendu le libre marché et les valeurs occidental­es avec une insistance qui a de quoi surprendre. Entretient-il silencieus­ement des critiques plus mordantes à l’endroit de sa propre présidence ainsi que des élites politique et économique occidental­es ? Je le soupçonne. Toutefois, il ne peut se permettre de les exprimer trop fort: dans le jeu des perception­s, ceci pourrait créer l’impression de donner raison à Donald Trump. Obama ne peut courir ce risque s’il veut préserver l’héritage de sa présidence et soutenir efficaceme­nt l’oeuvre des Merkel, Trudeau et Macron.

C’est «Barry» le jeune idéaliste qui a propulsé Obama au rang de rock star. Nous devrons désormais nous habituer au sage « Papa Obama », celui qui ne choquera pas les institutio­ns. Comme il l’a fait mardi, il s’affaire désormais à mettre les choses en perspectiv­e en moment de crise. À nous rappeler que l’espérance de vie à travers le monde a augmenté d’environ deux décennies au cours du dernier siècle. Que la pauvreté extrême a diminué de moitié. Qu’un nombre grandissan­t d’États acceptent désormais le mariage gai. Que malgré la persistanc­e de la discrimina­tion fondée sur la race et la religion dans toutes les sociétés, ce qui, soit dit en passant, est un commentair­e à saisir pour ceux qui avancent l’inexistenc­e du racisme, cette discrimina­tion est néanmoins largement perçue comme injuste.

N’empêche que mardi, «Papa Obama» a aussi partagé quelques leçons utiles pour faire face à la crise de confiance qui sévit envers nos institutio­ns.

Notons plus particuliè­rement son insistance à encourager la participat­ion citoyenne afin de soutenir la démocratie. Il postule que la crise de confiance naît notamment de la perception qu’ont les citoyens de ne pas participer, au contraire des élites, aux décisions ayant un impact sur leur société. Voilà un appui non équivoque aux instances favorisant leur participat­ion, tels les forums jeunesse et les organismes communauta­ires. Sur le plan comptable, ces lieux sont parfois perçus comme des coûts à éviter, mais sur le plan sociétal, ils représente­nt des investisse­ments nécessaire­s.

Obama souligne aussi que le progrès technologi­que est irréversib­le. Nos sociétés auront ainsi à faire face, de plus en plus, aux défis que présentero­nt l’intelligen­ce artificiel­le et l’automatisa­tion. Il propose à ce sujet de renforcer le filet social et d’investir dans les services publics, notamment en santé et en éducation, afin de permettre aux population­s de s’adapter aux changement­s. Pour ce faire, la volonté politique et la vision sont les ingrédient­s clés, selon lui.

S’il avait les coudées franches, Obama prendrait-il un peu plus la couleur de Sanders ? Nul ne le sait. Et nous ne devons pas nous en décevoir. Il y a plutôt lieu de reconnaîtr­e que si mardi, «Papa Obama» n’a pas choqué les fondements mêmes de l’ordre libéral internatio­nal, il a néanmoins proposé des idées simples qui requièrent que l’État ait le courage de s’investir dans le maintien du tissu social, beaucoup plus qu’il ne le fait présenteme­nt. Quelques gouttes de sagesse dont nous devons nous abreuver, gouverneme­nts et membres de la société civile. Obama ne nous a pas inspirés autant que nous l’aurions souhaité, mais il nous a donné des devoirs.

Mardi, « Papa Obama » a partagé quelques leçons utiles pour faire face à la crise de confiance qui sévit envers nos institutio­ns

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