Le Devoir

Il avait quelque chose à déclarer

50 ans plus tard, André Duchesne revient sur le «Vive le Québec libre» du Général de Gaulle

- MICHEL LAPIERRE

Dans son édition des 23 et 24 juillet 1967, le quotidien parisien France-Soir publie une caricature prémonitoi­re de Charles de Gaulle qui, en arrivant au Canada, se fait demander par le douanier s’il n’a rien à déclarer: « Vous me connaissez mal…» répond le président français. Sans l’humour, le livre du journalist­e André Duchesne ne reconstitu­erait pas toute la puissance et tout le sous-entendu du cri que lancera de Gaulle : «Vive le Québec libre!»

Nous célébrons cet été le cinquanten­aire de l’événement, et le journalist­e de La Presse le relate dans un style très alerte, le met en contexte et en fait ressortir les détails les plus piquants. Son ouvrage ne s’intitule pas pour rien La traversée du Colbert, du nom du navire de guerre à bord duquel le général remonta le Saint-Laurent pour débarquer à Québec plutôt qu’à Ottawa, comme l’aurait voulu le protocole qu’il se plaisait à bouleverse­r.

Le 24 juillet, au balcon de l’hôtel de ville de Montréal, de Gaulle insiste pour parler à la foule qui, souvent indépendan­tiste, l’acclame. Or nul discours n’était prévu à cet endroit, mais plutôt à la terrasse arrière, devant les seuls notables. Nationalis­te qui avait toutefois en horreur toute velléité d’indépendan­ce, le maire Jean Drapeau signale l’absence de micro. Le Général réplique: «Et là, dans le coin, ce n’est pas un micro?» Drapeau répond: « Il ne fonctionne pas. »

Survient un technicien de Radio-Canada, qui ironiqueme­nt est un des organisate­urs du Parti libéral du Québec, formation très hostile à l’indépendan­ce. Il le rebranche. S’appuyant sur de nombreux témoignage­s, Duchesne dépeint parfaiteme­nt la scène: «De Gaulle jubile. Drapeau écume. » Le général s’adresse à la foule : «Ce soir, ici, et tout au long de ma route, je me suis trouvé dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération ! »

Cette analogie très évocatrice avec la délivrance de l’Hexagone de l’occupation nazie, à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, prolonge la suite logique des discours audacieux prononcés par de Gaulle à Québec et dans plusieurs autres municipali­tés avant d’arriver à Montréal. Sur le point d’être lancé, le vivat resté célèbre en sera la conclusion aussi fracassant­e que nécessaire.

Dès son arrivée, au maire de Québec qui l’avait mis en garde contre les nombreuses marches de son hôtel de ville, le général avait répliqué : «Laissez-moi tomber seul.» Le Monde, le plus prestigieu­x journal de France et l’écho de l’opinion outre-Atlantique, résume le voyage du président ainsi: «L’excès en tout…» Même Daniel Johnson père, le premier ministre québécois unioniste qui avait invité le général, restait atterré par l’audace des discours gaulliens.

Loin du nationalis­me dont de Gaulle n’était pourtant pas exempt, un mot plus moderne apparaissa­it en sourdine à nos oreilles retardatai­res: décolonisa­tion.

LA TRAVERSÉE DU COLBERT DE GAULLE QUÉBEC 1967 AU EN JUILLET ★★★1/2 André Duchesne Boréal Montréal, 2017, 320 pages

 ?? HARRY BENSON ?? Le général de Gaulle lors d’un bain de foule à Montréal en juillet 1967
HARRY BENSON Le général de Gaulle lors d’un bain de foule à Montréal en juillet 1967

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