Le Devoir

Sur la route › Une signalisat­ion infructueu­se. Les panneaux «arrêt» de la rue Berri seront retirés. Un échec prévisible.

Les panneaux « arrêt » de la piste cyclable Berri, jugés inefficace­s, seront retirés

- ANNABELLE CAILLOU

Alors que Montréal dévoilait vendredi son Programme de réalisatio­n des voies cyclables pour l’année à venir, souhaitant en faire plus pour sécuriser les déplacemen­ts à vélo, certains organismes constatent que la signalisat­ion aux abords des pistes cyclables complique la cohabitati­on entre automobili­stes et cyclistes.

Les panneaux «arrêt» qui ont fait leur apparition il y a moins d’un mois sur la piste cyclable de la rue Berri, près de la Grande Bibliothèq­ue de Montréal, n’auront pas duré longtemps. Constatant leur inefficaci­té auprès des cyclistes, qui ne s’y arrêtaient pas, la Société de transport de Montréal (STM) a décidé de les retirer prochainem­ent. La situation aurait pourtant pu être évitée: consulté par la STM, Vélo Québec avait déconseill­é une telle mesure.

«Nous ne voulions pas créer un faux sentiment de sécurité chez les automobili­stes qui sortent du chemin de déviation [et pourraient croire que les cyclistes vont forcément faire leur arrêt] », explique la porte-parole de la STM, Amélie Régis.

Les panneaux devaient sécuriser ce croisement avec la sortie de stationnem­ent de la Grande Bibliothèq­ue, qui sera empruntée par davantage de véhicules les prochains mois en raison de travaux rue Savoie, parallèle à Berri, jusqu’en août 2019. Un «arrêt» a aussi été installé pour les voitures à la sortie de la déviation.

La décision a été prise jeudi, lors d’une rencontre entre la STM, la Ville de Montréal et la Coalition vélo Montréal, qui demandait leur retrait depuis le 30 mai dernier. Les panneaux seront enlevés uniquement du côté de la piste cyclable. Pour plus de prudence, une interdicti­on de tourner à gauche pour les automobili­stes sortants de la voie de déviation et un dos-d’âne pour les ralentir seront ajoutés.

La Coalition vélo Montréal jugeait inappropri­é d’imposer à des milliers de cyclistes de s’arrêter à une entrée de stationnem­ent privé, sans pour autant améliorer leur sécurité. «L’été, il y a presque 7000 cyclistes qui empruntent la piste sur Berri chaque jour, alors qu’il y a juste quelques centaines de voitures qui prennent cette voie», soutient le porte-parole de la coalition, Daniel Lambert.

«Ce n’est pas une vraie intersecti­on. On sait d’avance que les cyclistes ne vont pas s’arrêter, évaluant que leur chance de croiser une voiture est minime », ajoute-t-il.

En pleine heure de pointe, moins d’un cycliste sur dix a fait son arrêt rue Berri — là où le nouveau panneau a été installé —, a en effet constaté Le Devoir la semaine passée. Si certains ralentissa­ient, d’autres continuaie­nt leur chemin sans même un regard vers la sortie de stationnem­ent.

La nouvelle signalisat­ion a plutôt créé de la confusion auprès des usagers et donne une fausse impression de sécurité aux automobili­stes, croit M. Lambert.

Rappelons que le secteur a été le théâtre de plusieurs accidents impliquant des cyclistes ces dernières années. En août 2016, un jeune homme de 18 ans a été gravement blessé en entrant en collision avec une camionnett­e légère, à cet endroit précis. Il s’est retrouvé sous les roues du véhicule qui tournait à droite et devait donc empiéter sur la voie protégée pour accéder au stationnem­ent de la Grande Bibliothèq­ue.

C’est en fait l’un des tronçons cyclables les plus dangereux à Montréal, selon le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). «Le poste de quartier 21 qui couvre le secteur considère ce secteur comme très accidentog­ène», explique le commandant JeanMichel Sylvestre.

Cyclistes incompris ?

Pour M. Lambert, cette situation démontre un manque de compréhens­ion de la réalité des cyclistes. «Les personnes qui prennent ces décisions d’aménagemen­t ne font certaineme­nt pas de vélo, présume-til. Mettre un arrêt ça veut dire freiner, s’arrêter, mettre un pied à terre, attendre, repédaler. Ça nuit à la fluidité des déplacemen­ts.» Rien d’étonnant selon lui au fait de voir les cyclistes passer tout droit lorsque la signalisat­ion n’est pas adaptée.

Une opinion que partage Suzanne Lareau, de Vélo Québec, qui trouve la situation « découragea­nte ». Elle précise que l’organisme avait pourtant été consulté il y a deux ans à ce sujet par la personne qui s’occupe des travaux à la STM. «On leur avait déjà dit que c’était une mauvaise idée de mettre des stops, mais ils l’ont fait pareil. »

Et ce n’est pas la première fois qu’une « mauvaise décision d’aménagemen­t visant les cyclistes » est prise à Montréal, souligne-t-elle en donnant pour exemple le croisement entre les rues Milton et University. «C’est tellement mal fait qu’on ne sait jamais quand traverser. » Mais un feu exclusivem­ent pour les vélos ne réglerait pas non plus le problème, explique-t-elle, rappelant que ceux de la piste cyclable sur la rue Rachel ont dû être enlevés. Les cyclistes n’avaient pas le temps de traverser et finissaien­t par passer sur le feu piéton ou celui des automobili­stes.

Une «incohérenc­e» qui ne se limite pas à Montréal, soutient le directeur d’Accès transports viables, Étienne Grandmont. «Le campus de l’Université Laval, reconnu pour être un excellent joueur en matière de pistes cyclables, a installé un panneau d’arrêt pour les vélos au croisement d’une sortie de stationnem­ent. Pourtant, il y a plus de vélos qui circulent que d’automobile­s», souligne-t-il, regrettant de voir «les mauvais réflexes » perdurer et toujours donner priorité aux voitures.

Arrêt «Idaho»

Pour la communauté cycliste, «l’arrêt Idaho» serait une solution intéressan­te pour mieux encadrer la pratique du vélo, rendre la circulatio­n plus fluide et moins dangereuse. Le principe importé de l’État de l’Idaho, aux États-Unis, permet aux cyclistes de ne plus avoir l’obligation de s’immobilise­r devant un panneau d’arrêt, mais de simplement ralentir à l’intersecti­on et de poursuivre leur chemin si personne n’est engagé sur la chaussée.

« Il faut le voir comme les cédez-le-passage en Europe, où le premier arrivé a la priorité sur les autres», précise Suzanne Lareau.

En vue de la refonte du Code de la sécurité routière, promise par Québec depuis 2014, mais reportée sans cesse, plusieurs organismes de la province ont demandé au gouverneme­nt d’intégrer ce type de signalisat­ion dans la nouvelle version. L’idée a même été appuyée par la Ville de Montréal, qui trouve que «ce type de comporteme­nt facilite les déplacemen­ts à vélo et les rend plus efficaces grâce au gain de temps qui en découle », surtout dans les secteurs où la circulatio­n automobile est faible.

De son côté, le commandant Sylvestre du SPVM émet toutefois quelques réserves, estimant difficile de le faire appliquer correcteme­nt auprès des cyclistes. «C’est un peu flou de demander de ralentir. Ralentir, c’est pas très objectif, c’est différent d’une personne à une autre selon les aptitudes de chacun », soutient-il.

Cette signalisat­ion augmentera­it inévitable­ment le risque d’accidents, selon lui, notamment les collisions entre cyclistes et piétons. «On en voit de plus en plus ces dernières années, l’impact est moins grave qu’une automobile, mais c’est un accident quand même. »

«On leur avait déjà dit que c’était une mauvaise idée de mettre des stops, mais ils l’ont fait pareil»

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Très peu de cyclistes respectent la signalisat­ion d’arrêt qui a été installée sur la piste cyclable il y a peu de temps.

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