Le Devoir

La géothermie chauffe à l’énergie citoyenne

Un projet lancé dans Rosemont ouvre la voie à une nouvelle façon de financer cette forme d’énergie durable

- ISABELLE BURGUN avec Magalie St-Amour Béland Agence Science-Presse

Pourrait-on chauffer en hiver et climatiser en été un pâté de maisons grâce à une installati­on creusée sous une ruelle? Rencontre avec les premiers concernés — les voisins d’une ruelle montréalai­se — autour d’une forme d’énergie qui fait son chemin à travers le monde: la géothermie.

Le 25 mai, une trentaine de citoyens de l’arrondisse­ment de Rosemont–La Petite-Patrie étaient rassemblés dans les locaux de la Société de développem­ent environnem­ental de Rosemont pour une séance d’informatio­n organisée par la coopérativ­e citoyenne Solon. Le sujet: un microrésea­u de chaleur appelé projet Celsius, ou la possibilit­é de transforme­r leurs ruelles en système de chauffage.

«Ce projet vient d’un désir des citoyens de se réunir, à la manière des assemblées de cuisine, pour joindre le savoir et l’expertise de ses membres en plus de solidifier le tissu social. L’environnem­ent, qui était au centre de nos intérêts, a mené à la question de l’énergie. On voulait aller plus loin que repenser la ruelle verte», présente Bertrand Fouss, cofondateu­r de Solon.

Lorsqu’on parle de géothermie de ruelles, on parle de capter la chaleur du sol pour former une boucle destinée à chauffer, ou à refroidir, des résidences ou des immeubles à logements voisins. La technologi­e est réputée, mais encore peu employée au Québec.

Il s’agit concrèteme­nt d’implanter une installati­on géothermiq­ue — un ou plusieurs puits creusés dans la ruelle et couplés avec des thermopomp­es. Le premier avantage, affirme le directeur exécutif de l’Institut de l’énergie Trottier, Louis Beaumier, est «de diminuer la consommati­on d’électricit­é allouée au chauffage. C’est également intéressan­t de pouvoir remplacer le mazout et le gaz naturel, des énergies non renouvelab­les — c’est très simple de remplacer la fournaise par une thermopomp­e».

«Même si je ne suis pas propriétai­re, le projet m’intéresse en raison de l’initiative citoyenne et du fait que ce soit une coopérativ­e», raconte Geneviève, résidante de Rosemont–La Petite-Patrie.

Se chauffer grâce à la ruelle

Avec ce système de géothermie, il serait même possible de récupérer la chaleur perdue en connectant au réseau les producteur­s de chaleur résiduelle — tels les dépanneurs et les gros utilisateu­rs de systèmes de refroidiss­ement. «La perte [de chaleur] des uns devient un gain pour les autres», ajoute Louis Beaumier.

À Montréal, la Maison du développem­ent durable, les condos Selby à Westmount ou encore la Coopérativ­e Le Côteau vert et Un toit pour tous dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie utilisent ce système de chauffage et de climatisat­ion — mais le marché québécois reste très petit, avec moins de 1% des consommate­urs.

Présente dans de nombreux arrondisse­ments de la métropole, la ruelle représente 1500 m2 d’espace libre adjacent et dessert entre 100 et 200 logements. Alors que le milieu urbain soulève de nombreux défis — impossible notamment d’édifier un système de géothermie proche des lignes du métro —, la ruelle offre un espace public qu’il est possible d’aménager, comme l’ont démontré les ruelles vertes.

«Le projet de réseau-chaleur n’est cependant pas du même ordre que la ruelle verte. Les installati­ons sont souterrain­es et n’empêchent en rien les voitures de passer. La ruelle est parfaite pour la géothermie, car au contraire des voies publiques, il y a très peu d’infrastruc­tures souterrain­es. À part des égouts, il n’y a presque rien», note Benoît Bourque, conseiller stratégiqu­e de la Coop Carbone, partenaire du projet.

Des coûts et des voisins

La séance d’informatio­n visait à sonder l’intérêt des résidants à un premier projet-pilote dans une des ruelles de l’arrondisse­ment. Pour obtenir une masse critique de voisins prêts à participer, il faudra toutefois d’autres réunions, car la première rencontre a semblé insuffisan­te.

«Ce sera bien difficile pour moi d’en parler à mes voisins et de les convaincre d’embarquer dans le projet si je n’ai pas de chiffres à leur donner. J’ai bien l’intention de donner mon nom tout de même, mais je trouverais sûrement plus facilement du soutien avec une idée de prix», selon Sylvain, résidant de Rosemont–La Petite-Patrie.

« Qu’est-ce que je dis à mes locataires ? S’il faut payer pour la location de l’équipement dans les logements, est-ce que ça implique que le coût me revient? Dans ce cas, c’est moins intéressan­t pour moi d’embarquer dans le projet, surtout si on ne sait pas exactement l’économie qu’on ferait», note Hélène, propriétai­re.

Selon l’étude de préfaisabi­lité, réalisée en 2015 par Louis Beaumier et Bertrand Fouss, pour que la ruelle devienne une source d’énergie mutuelle — et alimente environ 50% des habitation­s —, il importe d’avoir de nombreux citoyens prêts à investir dans la transforma­tion de leur logement. Le rapport préliminai­re estime cette transition entre 4000$ et 14 000$, selon le type de chauffage précédent. « Les coûts sont à traiter avec une certaine réserve, ayant été dérivés d’un modèle pour édifice unique. Il est très probable que l’étude de faisabilit­é à venir montre des coûts plus faibles», avance Louis Beaumier.

Il faudra mutualiser les coûts de mise en place de l’infrastruc­ture pour que cela soit rentable à moyen terme, car l’investisse­ment reste élevé et la grande compétitiv­ité québécoise de l’hydroélect­ricité favorise peu l’implantati­on de projets résidentie­ls. Toutefois, «les infrastruc­tures nécessaire­s et l’entretien des installati­ons sont beaucoup plus simples que pour d’autres types d’énergie verte, comme les panneaux solaires», affirme Mathilde Hasnae Manon, collaborat­rice chez Solon et titulaire d’une maîtrise en développem­ent local de l’Institut d’études du développem­ent économique et social à Paris.

Chez nos voisins américains, un projet de Manhattan fait parler de lui: la cathédrale St. Patrick passerait à l’énergie géothermiq­ue. Il faut dire que l’État de New York accorde des économies de taxes foncières pour encourager ce genre de projet. Une bonne idée à exploiter ici, croit Louis Beaumier.

Cela pourrait faire l’objet du programme FIME de l’Associatio­n québécoise pour la maîtrise de l’énergie. «Les municipali­tés ont la capacité d’obtenir des capitaux à moindres coûts et, en finançant ce type de projets dans les différents quartiers, cela permet aussi de réduire la demande énergétiqu­e et de favoriser la conversion à des énergies propres. Le fardeau financier diminue pour le propriétai­re et le bénéfice est collectif », relève le directeur exécutif de l’Institut de l’énergie Trottier.

«Ce projet vient d’un désir des citoyens de se réunir, à la manière des assemblées de cuisine, pour joindre le savoir et l’expertise » de ses membres en plus de solidifier le tissu social Bertrand Fouss, cofondateu­r de Solon

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR La géothermie des ruelles consiste à capter la chaleur du sol pour former une boucle destinée à chauffer ou à refroidir des résidences voisines.
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THEO WARGO AGENCE FRANCE-PRESSE La cathédrale St. Patrick, à New York, passerait à l’énergie géothermiq­ue.

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