Maxime Bernier ou les limites de l’entrepreneur politique beauceron
Les résultats de la course à la direction du Parti conser vateur du Canada se prêtent à une lecture territoriale de la construction du leadership et de la controverse idéologique. Les premiers pas de Maxime Bernier sur la scène fédérale livrent quelques clés de son parcours et du succès d’estime qu’il s’est acquis au terme d’une décennie de vie politique et qui lui a de permis de faire presque jeu égal avec Andrew Sheer.
Dès sa première candidature à un mandat de député fédéral à l’occasion du scrutin du 23 janvier 2006, Maxime Bernier l’emporte avec un score sans appel. Il est en effet élu dans la circonscription de la Beauce sous les couleurs du Parti conservateur avec 67% des suffrages exprimés (meilleur résultat après celui de Stephen Harper) et une majorité de près de 26 000 voix sur son second. Il succède alors à un député libéral qui avait profité, en 1997, du « retrait négocié » de son père, Gilles Bernier. Celui-ci représentait alors la Beauce à la Chambre des communes depuis 1984, d’abord comme conservateur durant deux mandats puis comme indépendant. Ce retrait avait eu comme monnaie d’échange un poste d’ambassadeur à Haïti offert par Jean Chrétien.
«Le petit Japon»
Le résultat électoral de 2006 ne manque pas d’intriguer. Il invite à scruter au moins deux phénomènes singuliers et conjoints propres à la Beauce: d’abord, l’étroitesse des relations entre les acteurs régionaux et leurs représentants politiques; ensuite et sans doute surtout, le poids à la fois économique et culturel que continue d’exercer l’entrepreneuriat industriel de la région, souvent qualifiée de «petit Japon».
Comment ne pas voir dans la reconduction de Maxime Bernier comme député de la Beauce au cours des dix dernières années l’expression politique de la société beauceronne? Cette région s’est historiquement donné une forte identité collective sur fond de « co-opétition », subtile alchimie de coopération et de compétition entre «jarrets noirs insoumis ». L’atmosphère industrielle de la région est l’émanation d’un système social qui s’est formé, le long de la rivière Chaudière, en relative autarcie économique et idéologique. La Beauce se perçoit elle-même comme « réfractaire » ; elle a su tirer parti de cette position de relatif enclavement sur le terrain de l’innovation et du développement. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer le nom de fleurons comme Canam, Maax ou Pomerleau. L’État est ici perçu comme plutôt distant et extérieur et, en tout état de cause, en fairevaloir des initiatives entrepreneuriales. Il en découle un parti-pris favorable à la baisse des impôts et à une conception soft et purement instrumentale des politiques publiques. L’option libertarienne de Maxime Bernier plonge ses racines en bonne part dans cette culture beauceronne. À la façon du créditiste d’antan Fabien Roy, qui a applaudi à sa victoire de 2006, M. Bernier pourrait se définir comme un nationaliste non indépendantiste.
Promouvoir la Beauce
Ces ressources culturelles forment la trame d’archives intérieures qui se muent à leur tour en bénéfice politique. Kathleen Lévesque, qui suit en Beauce la campagne de 2006, témoigne dans Le Devoir du 16 janvier de « l’impression qu’une vague de fond se prépare dans ce coin de la province». La nomination de M. Bernier au poste de ministre fédéral de l’Industrie dans le premier gouvernement de Stephen Harper n’a rien enlevé à son ambition de faire de la Beauce « une société distincte au sein du Québec». Il s’est d’ailleurs fait un devoir de respecter la seule promesse qu’il ait exprimée au cours de sa campagne électorale: défendre et promouvoir les valeurs beauceronnes. L’une des premières manifestations de cet engagement prend la forme d’un discours prononcé le 17 septembre 2006, à Saskatoon, devant la Chambre de commerce du Canada et consacré à la valeur de l’entrepreneuriat : «Quand je défends la liberté économique et l’entrepreneuriat, je défends ce que je considère comme les valeurs beauceronnes. J’ai été élevé à croire que quand ils sont libres de créer et d’innover, et de récolter le fruit de leurs efforts, tous les êtres humains auront tendance à afficher des qualités d’entrepreneurship. » La même tonalité se retrouve quelques mois plus tard devant la Chambre de commerce de SaintGeorges de Beauce: «Si l’on veut comprendre qui est Maxime Bernier et ce qu’il fait, il faut savoir qu’il vient de la Beauce, et que c’est la Beauce qui l’a façonné.»
Une dizaine d’années se sont écoulées depuis lors, au cours desquelles l’ancien vice-président exécutif du très libéral Institut économique de Montréal a indéniablement fait fructifier un capital social et politique d’abord constitué dans sa Beauce natale puis développé dans ses fonctions ministérielles. La logique de ses positions, qui l’a conduit à prôner l’abolition du système canadien de gestion de l’offre de produits agricoles, lui a valu à la fois une indiscutable notoriété et la fronde des tout premiers intéressés: au Québec et en Beauce même, le milieu agricole a accordé sa préférence à son ultime adversaire, qui l’a finalement emporté.