Le Devoir

Le pari de Maurice Lagueux

- TOUT EN MÊME TEMPS AGNOSTIQUE ET CROYANT Maurice Lagueux Liber Montréal, 2017, 288 pages LOUIS CORNELLIER

Quand un journalist­e suisse lui a demandé, en 2014, s’il croyait en Dieu, le philosophe Bernard-Henri Lévy a répondu: «Comme Hemingway: la nuit, par fois. » En cette matière, au fond, il fait toujours un peu nuit pour tous, ainsi que le résume André Comte-Sponville. «Nous ne savons pas si Dieu existe, écrit-il. C’est pourquoi la question se pose d’y croire ou pas. »

On oppose souvent croyants, agnostique­s et athées. Or, d’une certaine façon, ils ont en commun une situation fondamenta­le: sur la question de Dieu, ils ne peuvent que parier parce que le savoir est impossible. « Face au questionne­ment sur l’existence de Dieu, écrit Eric-Emmanuel Schmitt dans La nuit de feu (Albin Michel, 2015), se présentent trois types d’individus honnêtes, le croyant qui dit: “Je ne sais pas mais je crois que oui”, l’athée qui dit: “Je ne sais pas mais je crois que non”, l’indifféren­t qui dit: “Je ne sais pas et je m’en moque”. »

Foi et raison

Certains diront peut-être que ces philosophe­s grand public ne font pas le poids devant les penseurs athées militants que sont les Dawkins et Dennett. Or, voici qu’arrive dans le débat le philosophe québécois Maurice Lagueux, qui, dans Tout en même temps agnostique et croyant, un solide essai d’épistémolo­gie, donne plutôt raison aux premiers. Il défend l’idée «d’un espace où peut s’enraciner une foi dont l’affirmatio­n, sans reposer sur un quelconque savoir, n’exige nullement de renoncer à la raison ».

Comment peut-on, ainsi que le suggère le titre du livre de Lagueux, se dire à la fois agnostique et croyant? C’est que la croyance, explique le philosophe, n’est pas un savoir, mais l’expression d’une «confiance en un être inconnaiss­able». Les croyants qui prétendent savoir que Dieu existe et les athées qui affirment savoir que cette existence est impossible font preuve de présomptio­n. En ce domaine, l’honnêteté intellectu­elle exige de reconnaîtr­e que seul l’agnosticis­me s’impose.

Toutefois, attention. L’agnosticis­me mis en avant par Lagueux ne se réduit pas à l’indécision ou à l’indifféren­ce satisfaite quant à la croyance. Il se caractéris­e plutôt « par la conviction que seules des voies naturelles ouvertes à tous permettent d’acquérir un véritable savoir, ce qui implique l’impossibil­ité de connaître un monde transcenda­nt qui échappe forcément à nos prises». Croyants comme athées ne peuvent donc, en toute logique, qu’être aussi agnostique­s. Or, la question de l’existence de Dieu est si fondamenta­le, affirme Lagueux en donnant raison à Pascal, qu’« il faut parier ».

Métaphysiq­ue et science

L’option de l’athéisme est certes légitime, poursuit le philosophe, «mais elle n’est pas forcément la seule qui puisse être jugée raisonnabl­e». Dans la mesure où l’on adopte l’agnosticis­me tel qu’il est défini par Lagueux, où l’on accepte donc que les dogmes (transsubst­antiation, Trinité) ne sont pas des savoirs, mais «de très inspirante­s sources d’espérance et de confiance», que la notion de « Création » ne se veut pas une «explicatio­n» au sens scientifiq­ue du terme, mais «une invitation à faire confiance à un Être » bon qui « n’est pas de ce monde», le pari métaphysiq­ue postulant l’existence d’une réalité spirituell­e qui donne sens à la vie n’a rien d’irrationne­l. Ceux qui veulent tester la foi comme une théorie scientifiq­ue font erreur, explique le philosophe.

Tout en même agnostique et croyant est un essai particuliè­rement exigeant. Lagueux écrit dans une langue limpide et brille par l’intelligen­ce, la subtilité et la logique de son argumentat­ion, notamment quand il réfute les critiques rebattues adressées aux religions, selon lesquelles elles seraient des sources de guerre, des illusions consolatri­ces, des tissus de contradict­ions, etc. Toutefois, les questions dont il traite — monisme ou dualisme, fondements de la conscience humaine, légitimité de la métaphysiq­ue — sont corsées. Aussi seuls les lecteurs motivés sont-ils conviés au rendez-vous.

Fidèle à sa logique agnostique, Lagueux n’a pas la prétention de «démontrer qu’il y a un Dieu et que les religions nous ouvrent la voie vers lui », mais celle, plus modeste et rationnell­e, de « souligner qu’il n’y a pas de raisons valables de discrédite­r la foi des croyants », si celle-ci ne revendique pas le statut de savoir. Il y parvient avec brio.

La croyance, explique le philosophe, n’est pas un savoir, mais l’expression d’une « confiance en un être inconnaiss­able »

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