Le pari de Maurice Lagueux
Quand un journaliste suisse lui a demandé, en 2014, s’il croyait en Dieu, le philosophe Bernard-Henri Lévy a répondu: «Comme Hemingway: la nuit, par fois. » En cette matière, au fond, il fait toujours un peu nuit pour tous, ainsi que le résume André Comte-Sponville. «Nous ne savons pas si Dieu existe, écrit-il. C’est pourquoi la question se pose d’y croire ou pas. »
On oppose souvent croyants, agnostiques et athées. Or, d’une certaine façon, ils ont en commun une situation fondamentale: sur la question de Dieu, ils ne peuvent que parier parce que le savoir est impossible. « Face au questionnement sur l’existence de Dieu, écrit Eric-Emmanuel Schmitt dans La nuit de feu (Albin Michel, 2015), se présentent trois types d’individus honnêtes, le croyant qui dit: “Je ne sais pas mais je crois que oui”, l’athée qui dit: “Je ne sais pas mais je crois que non”, l’indifférent qui dit: “Je ne sais pas et je m’en moque”. »
Foi et raison
Certains diront peut-être que ces philosophes grand public ne font pas le poids devant les penseurs athées militants que sont les Dawkins et Dennett. Or, voici qu’arrive dans le débat le philosophe québécois Maurice Lagueux, qui, dans Tout en même temps agnostique et croyant, un solide essai d’épistémologie, donne plutôt raison aux premiers. Il défend l’idée «d’un espace où peut s’enraciner une foi dont l’affirmation, sans reposer sur un quelconque savoir, n’exige nullement de renoncer à la raison ».
Comment peut-on, ainsi que le suggère le titre du livre de Lagueux, se dire à la fois agnostique et croyant? C’est que la croyance, explique le philosophe, n’est pas un savoir, mais l’expression d’une «confiance en un être inconnaissable». Les croyants qui prétendent savoir que Dieu existe et les athées qui affirment savoir que cette existence est impossible font preuve de présomption. En ce domaine, l’honnêteté intellectuelle exige de reconnaître que seul l’agnosticisme s’impose.
Toutefois, attention. L’agnosticisme mis en avant par Lagueux ne se réduit pas à l’indécision ou à l’indifférence satisfaite quant à la croyance. Il se caractérise plutôt « par la conviction que seules des voies naturelles ouvertes à tous permettent d’acquérir un véritable savoir, ce qui implique l’impossibilité de connaître un monde transcendant qui échappe forcément à nos prises». Croyants comme athées ne peuvent donc, en toute logique, qu’être aussi agnostiques. Or, la question de l’existence de Dieu est si fondamentale, affirme Lagueux en donnant raison à Pascal, qu’« il faut parier ».
Métaphysique et science
L’option de l’athéisme est certes légitime, poursuit le philosophe, «mais elle n’est pas forcément la seule qui puisse être jugée raisonnable». Dans la mesure où l’on adopte l’agnosticisme tel qu’il est défini par Lagueux, où l’on accepte donc que les dogmes (transsubstantiation, Trinité) ne sont pas des savoirs, mais «de très inspirantes sources d’espérance et de confiance», que la notion de « Création » ne se veut pas une «explication» au sens scientifique du terme, mais «une invitation à faire confiance à un Être » bon qui « n’est pas de ce monde», le pari métaphysique postulant l’existence d’une réalité spirituelle qui donne sens à la vie n’a rien d’irrationnel. Ceux qui veulent tester la foi comme une théorie scientifique font erreur, explique le philosophe.
Tout en même agnostique et croyant est un essai particulièrement exigeant. Lagueux écrit dans une langue limpide et brille par l’intelligence, la subtilité et la logique de son argumentation, notamment quand il réfute les critiques rebattues adressées aux religions, selon lesquelles elles seraient des sources de guerre, des illusions consolatrices, des tissus de contradictions, etc. Toutefois, les questions dont il traite — monisme ou dualisme, fondements de la conscience humaine, légitimité de la métaphysique — sont corsées. Aussi seuls les lecteurs motivés sont-ils conviés au rendez-vous.
Fidèle à sa logique agnostique, Lagueux n’a pas la prétention de «démontrer qu’il y a un Dieu et que les religions nous ouvrent la voie vers lui », mais celle, plus modeste et rationnelle, de « souligner qu’il n’y a pas de raisons valables de discréditer la foi des croyants », si celle-ci ne revendique pas le statut de savoir. Il y parvient avec brio.
La croyance, explique le philosophe, n’est pas un savoir, mais l’expression d’une « confiance en un être inconnaissable »