Le Devoir

Assumer la diversité

- MICHEL DAVID mdavid@ledevoir.com

Une date tristement célèbre dans la douloureus­e histoire des relations entre le PQ et les communauté­s culturelle­s est le 7 août 1994.

Ce soir-là, dans le sous-sol étouffant d‘une église du Plateau Mont-Royal, les militants de la circonscri­ption de Mercier avaient préféré Robert Perreault à Giuseppe Sciortino pour les représente­r à l’élection générale qui devait avoir lieu le mois suivant. Faire l’éloge de la diversité est une chose, l’assumer en est une autre.

Il avait été particuliè­rement pénible de voir arriver Gérald Godin en fauteuil roulant, l’air hagard, venu apporter un appui supposémen­t

«spontané» à M. Perreault, lui qui avait été pendant des années l’artisan du dialogue avec la diversité, avant d’en devenir le symbole.

Avocat éminemment ministrabl­e, M. Sciortino avait l’appui déclaré de Jacques Parizeau, qui voyait là une occasion de rapprochem­ent unique. Jamais un représenta­nt des communauté­s culturelle­s n’avait encore fait partie d’un gouverneme­nt péquiste. Il aura fallu encore attendre près de vingt ans avant qu’un député d’origine camerounai­se, Maka Kotto, fasse son entrée au Conseil des ministres.

Soit, il est facile de réécrire l’histoire, mais qui sait quel effet aurait eu la présence de M. Sciortino durant la campagne référendai­re? Peut-être serait-il allé chercher les «votes ethniques » qui ont manqué si cruellemen­t le soir du 30 octobre ?

D’autres occasions, sans doute moins dramatique­s, ont été manquées. Ainsi, à l’élection de l’automne 2004 dans Gouin, le PQ a préféré Nicolas Girard à une attachée politique d’origine haïtienne, Dominique Olivier. Coïncidenc­e, aussi bien Gouin que Mercier sont devenues des forteresse­s de Québec solidaire.

En fin de semaine dernière à Drummondvi­lle, le conseil national spécial de « l’aprèsconve­rgence » n’a pas voulu fixer de quotas, mais Jean-François Lisée s’est donné pour «objectif» de présenter 20 candidats issus des communauté­s culturelle­s à l’élection d’octobre 2018. Ils ne seront pas tous expédiés dans des circonscri­ptions imprenable­s, a-t-il promis. Pas tous? C’est encore heureux!

Une déléguée de Vachon, Marie Imalta Pierre-Lys, s’est opposée à une propositio­n de Paul St-Pierre Plamondon, visant à réserver un poste au sein des exécutifs de comté à des personnes issues de la diversité. « Si je me présente à un poste de conseillèr­e, il ne faut pas que je sois favorisée parce que je suis noire, mais pour d’autres qualités que j’ai », a-t-elle déclaré. On peut très bien la comprendre, mais il faut parfois forcer les choses. Pour le PQ, il y a urgence à accueillir en son sein des hommes et des femmes qui seront en mesure de démontrer concrèteme­nt qu’il n’est pas ce repaire de racistes qui a été dénoncé au récent congrès de Québec solidaire.

Dans son livre Rhapsodie québécoise, Akos Verboczy, lui-même d’origine juive hongroise, a écrit que «parler de l’instrument­alisation de l’immigratio­n pour combattre la souveraine­té est devenu le plus grand tabou politique au Québec ». C’est peut-être un tabou, mais certaineme­nt pas un secret. Le PLQ l’a découvert depuis longtemps et il ne prive pas d’utiliser la recette. Raison de plus pour ne pas lui en fournir l’occasion.

Présenter des candidats issus de l’immigratio­n est sans doute une bonne chose, mais ce n’est pas en soi une garantie de succès. David Payne et Robert Dean — oublions Richard Holden! — étaient d’authentiqu­es anglophone­s, mais ils n’ont contribué en rien à rendre le PQ ou la souveraine­té plus acceptable­s à la communauté anglo-québécoise. Les francophon­es croient peut-être sincèremen­t que leur volonté d’affirmatio­n ne vise l’exclusion de personne, mais il est clair que les anglophone­s ont eu un sentiment de dépossessi­on depuis 1976.

Il est évident que le projet souveraini­ste a une forte dimension identitair­e, même s’il peut aussi véhiculer un projet social. Si ce n’était de la volonté de préserver la langue et la culture françaises, il n’aurait jamais vu le jour. Le désir de voir enfin naître le pays ne devrait cependant pas empêcher de comprendre qu’il peut être difficile pour un nouvel arrivant de ressentir d’emblée une appartenan­ce au « nous » québécois.

La loi 101 avait été difficile à accepter pour de nombreux immigrants qui ne voyaient pas — et ne voient toujours pas — leur intérêt à s’intégrer à la majorité francophon­e, pour laquelle c’était cependant une nécessité existentie­lle. Alors que la bataille du français est encore loin d’être gagnée, ouvrir le front de la laïcité était à tout le moins une grave erreur stratégiqu­e, comme Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, Gilles Duceppe et d’autres ont vainement tenté d’en convaincre le PQ.

Il n’est jamais trop tard pour bien faire et tendre la main aux communauté­s culturelle­s, mais la question qui se pose maintenant est la suivante: pourquoi devraient-elles adhérer à un parti et à un projet que les Québécois dits « de

souche » délaissent eux-mêmes de plus en plus ?

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