Le Devoir

Qui dit vrai à Washington ?

Le secrétaire à la Justice nie toute collusion avec les Russes, mais il invoque le secret profession­nel pour taire ses conversati­ons avec Trump

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Le gril du comité sénatorial du renseignem­ent a chauffé pendant près de trois heures ce mardi après-midi. Le témoin du jour, Jeff Sessions, secrétaire à la Justice, y a subi la question, les plus mordantes étant portées par des représenta­nts démocrates.

Le procureur général des États-Unis, combatif, a essentiell­ement démenti toute collusion de sa part avec la Russie pour intervenir dans les élections présidenti­elles américaine­s. Il a dit être outré par de telles accusation­s. «Toute suggestion que j’aurais été de connivence ou que j’aurais eu connaissan­ce d’une entente avec le gouverneme­nt russe, dirigée contre mon pays, serait un mensonge éhonté et détestable», a-t-il dit en montrant alors une pointe d’émotion, dans l’accent chantonnan­t de son Alabama natal.

Par contre, ce témoignage attendu n’a pas permis d’en apprendre davantage sur le rôle du président dans ce qui est maintenant connu comme «l’affaire russe». Son ministre a refusé de révéler la teneur de leurs conversati­ons sur les sujets soumis à l’examen sénatorial.

M. Sessions a évoqué une obligation de confidenti­alité. «J’ai été conseillé par des procureurs d’expérience de mon ministère, a-t-il dit. Je crois que c’est en conformité avec mes fonctions.» Son mutisme sélectif a été très sévèrement critiqué par certains sénateurs.

Oublis et démentis

Dès l’ouverture, le président républicai­n comme le vice-président démocrate du comité ont répété qu’il s’agissait de comprendre dans quelle mesure la Russie s’était impliquée dans les dernières élections présidenti­elles de 2016 et qu’il fallait empêcher qu’une telle ingérence se répète.

Le procureur général, lui-même un ancien sénateur pendant deux décennies, a commencé son témoignage en disant n’avoir jamais eu de conversati­on avec un Russe au sujet d’une possible interventi­on dans le scrutin remporté par le républicai­n. Il a cependant ajouté croire que

les Russes étaient intervenus dans cette présidenti­elle et qu’il n’en savait lui-même que ce qu’il en lit dans les médias. Il a même précisé ne pas se souvenir d’avoir été «briefé» sur ce problème.

Jeff Sessions a aussi précisé qu’il n’avait pas eu de conversati­on avec un Russe, et surtout pas avec l’ambassadeu­r de Russie à Washington, Sergey Kislyak, à l’hôtel Mayflower en avril, niant ainsi une informatio­n diffusée récemment. «Je suis allé là, sans savoir qui y serait », a dit M. Sessions.

Le démocrate Mark Warner, le vice-président du comité, a souligné certains problèmes du témoignage du jour et de déclaratio­ns passées du témoin. Il a rappelé que M. Sessions a d’abord nié puis admis avoir eu plus tôt deux rencontres avec des représenta­nts russes.

Tom Cotton, républicai­n de l’Arkansas, est alors venu à la défense du témoin. Il a décrit le ridicule d’une situation semblable où un sénateur rencontrer­ait un ambassadeu­r russe dans un hôtel de Washington, à la vue de tous, pour comploter sur les élections présidenti­elles des États-Unis. Il a rappelé que «ça ne se passe pas comme ça » dans les films de James Bond ou les romans de John le Carré.

Des faits

Le comité sur le renseignem­ent compte quinze membres. L’audition bipartisan­e a été aussi longue que celle de la semaine dernière où comparaiss­ait James Comey, ex-directeur du FBI limogé par le président Trump. Il s’agissait de la dixième séance publique de 2017 des sénateurs, la cinquième sur le sujet de l’ingérence russe dans la présidenti­elle américaine. « Nous allons séparer les faits et les exposer au peuple », a dit d’entrée de jeu le président républicai­n du comité, Richard Burr.

Plusieurs questions portaient sur l’autorécusa­tion de Jeff Sessions de l’enquête sur l’affaire russe. Son retrait a été justifié par le conflit d’intérêts évident puisque l’enquête le concernait directemen­t, a expliqué le ministre. «Je me suis récusé, mais pas de mon devoir de défendre ma réputation », a-t-il dit.

Il assure n’avoir eu aucun accès à l’enquête qui a pris le relais ni à l’enquêteur spécial Robert Mueller, qui s’occupe maintenant de cette affaire. Le vice-président du comité sénatorial lui a fait promettre de ne pas chercher à faire renvoyer l’enquêteur Mueller. « J’ai confiance en lui », a dit le ministre.

Son rôle dans le licencieme­nt de l’ancien directeur du FBI a été a fait l’objet de questions. Plusieurs sénateurs démocrates ont demandé s’il avait joué un rôle dans ce congédieme­nt, s’il en avait parlé avec le président. M. Sessions a répondu qu’il souhaitait effectivem­ent « un nouveau départ» pour le FBI.

M. Sessions affirme cependant avoir encouragé l’ex-directeur Comey à respecter les règles de communicat­ions avec la MaisonBlan­che. M. Comey se plaignait de devoir rencontrer le président en tête-à-tête, ce qui aurait permis à M. Trump de le mettre sous pression dans les investigat­ions sur l’affaire russe.

Des doutes

Le sénateur démocrate de l’Oregon, Ron Wyden, a mis en doute plusieurs des déclaratio­ns du témoin. «Le public américain en a assez des manoeuvres dilatoires», a-t-il dit. Il a cité d’autres personnes disant que M. Sessions avait eu des contacts avec des Russes de haut rang et qu’il avait plusieurs raisons de se récuser. « Dites-moi lesquelles, alors», a répliqué le procureur général, sans obtenir de détails en retour.

M. Sessions a aussi dit que la lettre qu’il avait signée en mai recommanda­nt le renvoi de M. Comey n’était pas une violation de sa promesse de récusation.

Martin Heinrich, démocrate du NouveauMex­ique, a été un des plus sévères interrogat­eurs. Il a demandé pourquoi le témoin se réfugiait derrière son obligation de ne pas révéler la nature de ses conversati­ons avec le président pour ne pas répondre à certaines questions. Il l’a accusé d’obstructio­n dans l’enquête sénatorial­e.

Un autre, Angus Reid, sénateur indépendan­t du Maine, a souligné que le président ne réclamait pas cette mesure dilatoire. M. Sessions a répliqué qu’il voulait protéger le droit du président d’exercer ce privilège.

James Lankford, pourtant républicai­n de l’Oklahoma, a appuyé ses collègues démocrates dans leur critique du repli de M. Sessions. Il a rappelé que les sénateurs étaient déjà allés en cour pour obtenir des documents présidenti­els, finalement accordés.

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SAUL LOEB AGENCE FRANCE-PRESSE Le secrétaire à la Justice, Jeff Sessions, a témoigné mardi devant le comité sénatorial du renseignem­ent.

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