Le Devoir

Des conditions de glace fatales pour des galions basques

Il y a 400 ans, des changement­s climatique­s ont provoqué une série de naufrages au large de Terre-Neuve

- ISABELLE PARÉ

Les conditions de glace exceptionn­elles qui perdurent au nord-est de Terre-Neuve sont similaires à celles rencontrée­s au milieu du XVIe siècle par les marins basques. Des conditions qui ont causé la perte de plusieurs galions, mais qui ont aussi permis, plus de 400 ans plus tard, de mettre au jour un pan méconnu de l’histoire de l’Amérique.

Curieuseme­nt, ce sont aussi d’importants changement­s climatique­s survenus au tournant du XVIe siècle favorisant la présence massive de glaces qui ont jadis fait sombrer les navires basques, pourtant passés maîtres dans la navigation dans les eaux nordiques.

«À l’époque, le climat a aussi eu des impacts nocifs sur la navigation, mais il s’agissait d’un refroidiss­ement climatique qu’on a appelé la “mini ère de glace”», explique Robert Grenier, exchef de l’archéologi­e subaquatiq­ue à Parcs Canada.

En 1565, le baleinier San Juan, qui avait hissé les voiles depuis le Pays basque vers Terre-Neuve, l’une des victimes de ce changement climatique, n’est jamais rentré au port après avoir sombré au large de ce que l’on appelle aujourd’hui Red Bay.

«À l’époque, une demi-douzaine de navires basques ont coulé en raison de ces conditions climatique­s », relance l’archéologu­e. N’eût été ces tragédies, il manquerait aujourd’hui un maillon essentiel à la reconstitu­tion de l’épopée des marins basques en Amérique et des connaissan­ces entourant l’architectu­re navale de l’époque.

La présence basque s’est étendue sur plus de 500 ans sur les côtes du Canada et aurait précédé celle de Jacques Cartier en 1535. Les plus anciens écrits attestant de cette présence datent de 1517. «C’est la plus ancienne preuve connue, affirme M. Grenier, mais la présence basque est probableme­nt beaucoup plus ancienne.»

Une découverte cruciale

C’est seulement en 1978, lors de recherches archéologi­ques menées par Robert Grenier dans cette baie, que l’on a retrouvé sous l’eau à 100 pieds de la rive l’épave du San Juan, l’une des mieux conservées au monde, classée depuis au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les eaux glaciales et l’enfouissem­ent de l’épave dans le limon ont permis de protéger la structure du navire.

Ces vestiges ont permis de réécrire tout un volet de l’histoire des Basques et de leurs activités intensives de pêche à la baleine sur les côtes du Québec et du Labrador. Outre quelques documents écrits datant de l’époque, on en savait peu sur la configurat­ion des navires construits par ces marins pour traverser l’Atlantique et traquer les plus gros mammifères vivants.

Les travaux de Robert Grenier, considérés par Parcs Canada comme «le projet d’archéologi­e subaquatiq­ue le plus complet à voir vu le jour en Amérique du Nord », ont notamment permis à la fondation basque Albaola d’amorcer depuis la reconstitu­tion en taille réelle de ce galion de 28 mètres de longueur.

Curieux revers du sort, l’archéologu­e, qui devait partir ces jours-ci pour guider un navire de croisière avec à son bord une délégation d’une centaine d’hommes d’affaires basques sur les traces de ce peuple de grands navigateur­s, pourrait lui aussi être forcé de rester à quai.

Mardi, Trevor Hodgson, superinten­dant du programme de déglaçage de la Garde côtière canadienne (GCC) a fait savoir au Devoir que des conditions de navigation extrêmes perduraien­t dans la région nord-est de Terre-Neuve, avec plus de 90% de la surface navigable couverte de glace dans certains secteurs. Pétroliers et traversier­s doivent être escortés par les brise-glace, et plus de 35 bateaux de pêche ont été rescapés des glaces par la GCC comparativ­ement à quatre l’an dernier.

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EGIZU CC L’épave du baleinier San Juan, dont on trouve une maquette au musée espagnol Albaola La Faktoria Maritime Basque, a sombré en 1565 au large de Terre-Neuve.

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