Une occasion ratée d’honorer Adélard Godbout
« Adélard Godbout fut celui qui mit la table pour [la] Révolution tranquille
Le 12 juin dernier, le premier ministre du Québec, monsieur Philippe Couillard, annonçait en grande pompe que le siège social d’HydroQuébec se nommerait dorénavant l’édifice Jean-Lesage. Bien que le choix de souligner le rôle primordial de Jean Lesage dans le développement d’HydroQuébec soit judicieux, monsieur Couillard a manqué une belle occasion de souligner l’apport d’un autre premier ministre du Québec, Adélard Godbout.
Premier ministre du Québec maintenant en grande partie oublié, Adélard Godbout fut pourtant celui qui, par ses actions, mit la table pour ce qui serait plus tard connu sous le nom de Révolution tranquille. Arrivé au pouvoir après à la démission du premier ministre Louis-Alexandre Taschereau, il perdit les élections contre Maurice Duplessis deux mois plus tard. Le Parti libéral du Québec, dirigé par Godbout, reprend le pouvoir à la suite de l’élection générale du 8 novembre 1939 et y restera jusqu’en août 1944. C’est lors de ce mandat à la tête de la province qu’Adélard Godbout créa Hydro-Québec et jeta les bases permettant les avancées, à venir, du gouvernement Lesage. Contrairement à la croyance répandue, ce n’est pas René Lévesque, simple ministre du gouvernement Lesage à l’époque, qui fonda Hydro-Québec. Au moment où le gouvernement Lesage procède à l’expansion de la société d’État, celle-ci est déjà implantée dans le secteur énergétique québécois. En effet, en 1943 le gouvernement Godbout annonce la nationalisation de la Montreal Light, Heat and Power et de la Shawinigan Water and Power, qui étaient toutes deux dénoncées pour leurs inefficacités et le manque de constance de leurs services. Et c’est ainsi qu’Hydro-Québec vu le jour le 14 avril 1944 avec comme mandat de produire, de distribuer et de vendre de l’électricité aux habitants du Québec.
Réalisations marquantes
Mais Hydro-Québec n’est pas la seule réalisation marquante du gouvernement d’Adélard Godbout. Le Québec lui doit trois autres avancées majeures. En effet, tant en matière d’avancées démocratiques que scolaires, le gouvernement d’Adélard Godbout permit de créer les premiers jalons d’une société québécoise plus égalitaire. Tout d’abord, c’est le gouvernement Godbout qui accorde le droit de vote aux femmes, en 1940. Bien que le Québec soit la dernière des provinces canadiennes à étendre ce droit aux femmes, il reste que c’est un pas fondamental en matière d’égalité et de droits des femmes au Québec. C’est aussi ce gouvernement qui est responsable de la mise en place de l’instruction publique obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans et de la gratuité scolaire au primaire. Il est indéniable que ces mesures permirent une meilleure alphabétisation des Québécoises et des Québécois, ce dont le Québec avait grandement besoin.
Ces réalisations anticipent certaines des mesures phares de la Révolution tranquille. Que ce soit l’expansion d’Hydro-Québec, l’avancement du féminisme et les réformes majeures en éducation, les politiques du gouvernement Lesage doivent beaucoup à celles mises en place par son prédécesseur, qui gouverna le Québec près de deux décennies plus tôt.
L’impact et l’importance du gouvernement Lesage et, plus particulièrement, de Jean Lesage luimême sont déjà célébrés dans la nomenclature québécoise. Que ce soit des autoroutes, des boulevards, des édifices, des prix ou des doctrines, des noms comme Jean Lesage, René Lévesque, Paul Gérin-Lajoie, Georges-Émile Lapalme, Pierre Laporte et Claire Kirkland-Casgrain, tous et toutes ministres lors de la Révolution tranquille, sont déjà présents. En nommant le siège social d’HydroQuébec en l’honneur d’Adélard Godbout, monsieur Couillard aurait pu reconnaître à la fois le fondateur de cette grande société d’État, mais aussi l’importance des actions du gouvernement de ce premier ministre oublié et malaimé du Québec.
Oui, l’héritage d’Adélard Godbout n’est pas parfait, surtout sur le plan des relations fédérales-provinciales. On lui doit plusieurs reculs des droits et pouvoirs du Québec au sein de la fédération, principalement dus au contexte historique et politique de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, ce n’est pas une raison pour laisser dans l’oubli les autres réalisations de ce premier ministre auquel le Québec doit tant.