L’AUDACE DE L’ARTISTE
Pierre Lapointe a offert mercredi aux FrancoFolies de Montréal le spectacle Amours, délices et orgues, un concept audacieux et déstabilisant, mélangeant monologue, danse, design, théâtre et, évidemment, chanson. Le compte rendu de Philippe Papineau sur nos plateformes numériques.
Mais que s’est-il donc passé, Émile Bilodeau? Si vite! C’était hier, non, les Francouvertes? Bon, d’accord, avant-hier: printemps 2015. Il avait alors 18 ans, Émile, étudiait au cégep, et nous avions tous, observateurs du milieu de la chanson, été un peu abasourdis par son débit supersonique, la verve verbomotrice, ce degré d’agitation de jacuzzi sur pattes. On savait qu’il irait quelque part, mais on constatait aussi que ses chansons ne lui appartenaient pas encore vraiment: surgissait ici un Dédé Fortin, là un Bernard Adamus, voire un Mononc’Serge en plus survolté. Il faudrait du temps.
Rites de passage, le premier album au titre parfaitement représentatif, est arrivé en novembre 2016, et si tout ce beau monde se faufilait encore dans les interstices de ses interprétations, la réalisation de Philippe B avait considérablement accéléré le processus d’intégration, conférant aux (épatantes) chansons une personnalité mieux cernée. Et au chanteur fou un espace de folie plus… balisé. «J’avais besoin d’aide, c’est sûr. De quelqu’un qui comprendrait. Jusque-là, j’y avais été un peu au hasard, comme ça venait. Avec Philippe B, on a reconstruit les chansons, déterminé les arrangements en fonction de chacune, là où il fallait plus en mettre, ou moins en mettre. Pas être tout le temps dans le tapis, mais que ça bouge. J’ai eu le meilleur guide.» Ça augurait bien pour la suite.
Tout ça n’explique pas qu’à sa toute première représentation montréalaise, en février 2017 au Lion d’Or, c’était à ce point délirant sur scène et dans la salle. Abasourdi, deux ans plus tôt au même endroit, j’étais estomaqué, soufflé, ahuri. C’était franchement phénoménal (et pas phénoménal façon La voix, phénoménal au bouche-àoreille): tout le monde chantait avec lui toutes les chansons de l’album. Les soixante et quelques (longues) lignes de J’en ai plein mon cass. La page pleine qu’occupe América dans le livret, en caractères lilliputiens. Toutes.
Les lignes à mémoriser
«On était prêt, j’avais fait plein de shows de rodage, et des shows en solo, plein de shows. Honnêtement, ça faisait une couple de soirs que je sentais qu’il se passait de quoi, mais j’avoue que c’était impressionnant en tabarnouche au Lion d’Or. Et c’était pas seulement la quantité de paroles, mais la rapidité du débit.» Il fallait vraiment qu’entre novembre 2016 et février 2017, l’album ait tourné en boucle: sacré défi de mémorisation. « En même temps, sans me vanter, le piétage est très calculé, et chaque ligne mène à l’autre: c’est une histoire que t’apprends, ça reste plus facilement dans la tête, je pense. »
Répétez vingt fois ces lignes de Crise existentielle, pour voir si ça pénètre: «C’est sûr que c’est dur/Essayer d’se projeter dans le futur/Faut s’attendre à n’importe quoi/Me semble que ça va m’prendre un emploi, moi/Mais tsé veut dire/J ’ai toujours eu peur/À l’idée de devenir professeur/Pis qu’un jour un élève se lève dans mon cours/Pour m’interroger sur mon passé/Monsieur Bilodeau j’ai une question/J’ai vu des vidéos d’vos chansons/Sur YouTube/Ouais vous étiez pas mal cute/Mais comment ça s’fait qu’en vrai/Vous êtes pas mal plus laid/Et comme une église qui ne croit plus au ciel/J’me pète des crises existentielles».
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pleine lune, par Sylvain Cormier, et de la Soirée Acadie rock, par Philippe Renaud. Sur les plateformes numérique du Devoir.
Y a pas à dire, ça se tient, ça se suit.
Authenticité
« Faut croire que j’ai eu des bons profs, et que j’ai maintenant des fans qui m’étudient bien», résumet-il en rigolant. Il rigole beaucoup au bout du fil, cet Émile Bilodeau, à quelques jours de son spectacle des Francos (le 16 juin) et de ses 21 ans (le 28 juin prochain) : «Je laisse aller ma personnalité. Quand je te parle, je te parle vite, quand je chante, je chante vite, c’est moi, ça me sort le trop-plein du corps. Quand j’étais plus jeune, c’était le sport. Je suis un peu comme le Candide de Voltaire. Je suis juste content d’être content. À mon premier spectacle, il y avait une personne, j’étais super heureux. Au spectacle suivant, il y en avait trois, c’était l’apothéose. Et puis dix, quinze, vingt, et 400 au Lion d’Or. Je peux juste être encore plus content et le prendre comme ça se présente. Je ne me pose pas trop de questions, j’embarque dans le karaoké qu’ils me font. » Il rime même au téléphone, Émile Bilodeau. Je pense que c’est plus fort que lui. Ça va être insensé vendredi. ÉMILE BILODEAU, RITES DE PASSAGE À L’Astral, vendredi 16 juin à 19h30. En première partie: Jérôme St-Kant.